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Le Cloître ~ Bribes d'une vie ~

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Message par Esemtis Dim 21 Mar - 23:11

Ce bruit va m’achever. Instinctivement je place mes mains sur mes oreilles.
Le crissement persiste, et je ne peux pas l’arrêter. Père renforce le muret de fer qui barre ma chambre. Il a très vite comprit que le bois pouvait être gratté. Je vais devoir penser, oui, penser de nouveau pour trouver une autre sortie. M’échapper.

Mes tempes lacérées par le larsen d’un boulon qui se serre, ancrent dans ma tête une autre douleur. Vais-je pouvoir revoir un jour la lueur du soleil, ou caresser l’espoir d’apercevoir la lune dans toute sa splendeur ? J’en doute… plus le temps passe et plus mon esprit me dit de cesser de me questionner à ce propos, comme si au fond de mon être j’acceptais la défaite. Comme si elle était immuable.

Mes doigts arrachent quelques-uns de mes cheveux bruns, mais je ne m’en rends même plus compte. Les loquets s’ouvrent soudainement. Je me redresse sur mon lit. Une brèche de lumière entre dans la chambre, puis une tête ombrée passe la porte. La voix heurte mes sens lorsqu’elle se met à parler. Je tremble, mais tente de garder mon sang-froid.

« A chaque fois j’ajouterais des barres de fer. Tu ne sortiras pas d’ici à ton grès, mon fils. »

Je serre les dents. Elles se heurtent à ma langue. Je sens l’écoulement de sang filer dans le long de ma joue creuse.

«Tu sais que c’est pour ton bien, mon fils. Tu le sais.
Pourquoi crois-tu qu’aucun Brownell ne peu faire partie du Kirin Tor ? Tu es comme moi…»


La porte claque et les loquets lourds se referment. La lumière a disparu laissant place à la ténébreuse chambre qui est mon unique terrain de jeu depuis déjà vingt longues années. Mais ma mémoire peu me jouer des tours… mes seuls souvenirs remontent à lorsque je jouais avec mon frère et un autre petit garçon. Je revois son visage prétentieux et mesquin se tordre de peur, son souffle s’éteindre et sa peau pâlir… ses mains autour de mon cou tandis que j’étouffais, et moi… moi… une lumière mauve s’échappait de mes paumes. Lorsque ses pupilles devinrent mornes et que son corps s’étala par-dessus le mien, une petite gemme cligna entre mes doigts. C’était quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant !

Elle était pourpre, d’un éclat magnifique !
Mais mon frère… était déjà partit pour prévenir les grands de la bagarre.

Depuis, je suis dans mon domaine. Cloîtré… dans une cave sous la grange. Tout le monde pense que je suis fou, ou peut-être qu’ils me croient disparu… Peut-être serais-je ici jusqu’à ma mort d’ailleurs. J’avale mon sang mêlé à ma salive. Une larme coule sur ma joue tandis que mes muscles se relâchent. L’air n’est plus respirable ici, j’étouffe à chaque seconde qui passe.

Je cours à mon bureau, où des ouvrages que je lis depuis tout petit sont entassés. Je tire le tabouret, et m’assied rapidement avant de plonger une vieille plume dans l’encrier. De mon autre main, je repousse quelques livres, et délie un morceau de parchemin du grand rouleau que mon frangin m’a offert. Je le déchire d’un coup sec, et porte la plume trempée dessus. Mes doigts se serrent, et je laisse mon imagination vagabonder à travers les méandres de mon esprit tortueux en fermant les yeux.

Tout à coup, quelque chose m’intrigue… j’entends quelque chose… oui, il y a quelqu’un… je délaisse l’esplumoir, et me dirige vers le mur près de l’étagère. Je la pousse et remarque une sorte d’ouverture en fer… une évacuation ! Elle est toute petite… un tout petit rien… je m’abaisse pour confirmer en tâtonnant que je ne rêve pas. Non elle est bien là, elle a toujours été là et j’en savais rien ! Je plaque mon oreille contre, et j’entends des pleurs.

Ca a l’air d’être lointain… ça résonne sourdement… je regarde alentour… vite, un objet, quelque chose… il faut que j’ouvre cette trappe ! Il faut que j’aille voir… il faut… de la sueur perle sur mon front, l’espoir, cet espoir que mon père venait de brimer a un regain. Je ne laisserais pas passer cette occasion. Non. Elle ne filera pas. Et cette voix triste et pleureuse… qui est-ce ?!


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Message par Esemtis Dim 21 Mar - 23:13

Mes doigts se crispent sur la paroi.
Une fois de plus, j’essaie.
Ils se recroquevillent sur cette brique que j’ai pu déloger il y a déjà quelques mois. Je l’extirpe et fait de même avec la suivante. Mon regard se tourne vers la porte de ce qui semblerait être ma chambre. Pourvu que personne n’entende… non à cette heure, personne n’entendra.

Soudain, des pas au-dessus de ma tête… je replace rapidement les briques unes à une et m’empresse de remettre la bibliothèque où elle était. La faible lumière qui émane des bougies tremble tandis que les loquets grincent. La porte du plafond s’ouvre, et une ombre s’engouffre dans l’escalier.

Cette ombre je la connais bien.
Attablé à mon bureau, l’air de lire d’autres ouvrages, je fais comme si de rien n’était.
Le bruit des bottes s’approche jusqu’à ma hauteur. L’odeur et la voix de celui qui se tient là me laisse indifférent, mais pas tant que ça au final… il vient peu me rendre visite.

« Tu lis encore ce vieux truc ? Père et Mère auraient pu penser à t’en acheter d’autres, tu ne crois pas ? » Un livre à la couverture fine, au cuir bien ouvragé, est déposé devant mes yeux par une main épaisse et rocailleuse.

« Crois-tu que je puisse leur demander quoi que ce soit ? »
La tête fait un mouvement… Est-ce un oui ? Est-ce un non ? Je n’en sais rien.

« En tout cas, tu peux pas dire que je pense pas à toi. »
« Je n’ai jamais dit le contraire. »
« Oui… bon. Si ça peu t’éviter de t’évader encore une fois… tu sais que Père en a assez de te chercher en pleine nuit et de te chasser comme un chien. »
« J’ai dit que je ne le ferais plus. »
« Tu dis, tu dis, oui, tu dis ce que tu veux… »


La tête de mon frère s’incline près de moi, et du coin de l’œil je peux voir son visage.
Il a bien vieillit… ses cheveux bruns se sont dégarnis, et son bouc n’est plus comme le mien… plus fin, mieux entretenu.

« Mais je comprends que tu ais besoin de liberté. On en a tous envie. »
« Que veux-tu dire ? »
« Si tu peux attendre quelques semaines… le temps pour moi de trouver une parade pour que Père et Mère te laissent partir avec moi, enfin… si tu es d’accord… »
« Tu ferais ça ? »
« Oui mais il y aura des conditions. Tu dois t’en douter. »
« Hmm. Je ne vois pas pourquoi je te ferais confiance après tout… »
« Comme tu veux. »

Il fit demi-tour et se dirigea vers la porte.
Une fois les escaliers entamés, il s’arrêta quelques instants devant l’interstice lumineux.

« Si je le fais, c’est parce que j’en ai marre de ces secrets de famille qui n’en finissent pas. Si mon propre frère préfère rester enfermé pour l’éternité, grand bien lui fasse, moi j’ai envie qu’il voit le monde, des gens… et même de pouvoir lire d’autres pamphlets que ces trucs pourris qu’il garde sur sa commode. »
La porte claqua derrière lui et les loquets grincèrent une fois de plus.
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Message par Esemtis Dim 21 Mar - 23:15

A la lueur de la bougie, j’écris.
Il ne me reste plus beaucoup d’encre… et la plume crisse à chacun des mouvements de mes doigts frêles. Je m’efforce et persiste quand même : la lettre est bientôt terminée.

Encore une… encore.
Après tout, elle mérite que quelqu’un les lui adresse.
Elle est si belle… son visage est empreint de douceur lorsque je la surprend, somnolente. A chaque fois. Mon esprit n’arrive pas à se détacher de son image si… parfaite.

Je glisse le parchemin dans une enveloppe, et la referme avec de la cire chaude. Ma chevalière… c’est là tout ce que j’ai pour me distinguer des autres… une bague simple avec mes initiales sur le dessus. Un cadeau de ma grande sœur qui a la folie des grandeurs depuis qu’elle a le béguin pour un Veilleur.

Personne ne pourra savoir qui écrit sous « E.B. » de toute façon, voilà des années que les gens me pensent fou, ou porté disparu… enfin… mes parents ont bien fait les choses, de ce côté-là ils méritent grande confiance.

De la cire chaude glisse de l’anneau vers mon doigt. Ca brûle, ça fait mal, mais… je suis tellement heureux d’avoir fini cette missive, que ça m’importe peu. Je souffle, gratte légèrement avec mon index la cire qui s’est collée à ma peau et m’empresse de revêtir mon par-dessus noir et mon écharpe blanche.

La lettre entre les dents, je pousse le meuble pour y extraire ces briques une fois de plus. Je n’ai plus de temps à perdre, non. Elle doit recevoir cette lettre, comme à chaque nouvelle lune, et je continuerais de le faire tant que je sais qu’elle reviendra au même endroit.

Une fois de l’autre côté, je passe les briques, et place l’armoire contre le mur ouvert. Au moins je suis sûr de ne pas rester emprisonné dehors et personne n’y verra rien. Mère ne fait jamais le ménage dans ma chambre, d’ailleurs elle déteste venir en bas. Ma vue la rend irritable, elle est froide et distante.

Je traverse le long couloir humide des égouts, puis enfin, je suis libre.
La lune trône dans le ciel, maintenant je dois faire vite…
Une ombre traverse alors les bois ténébreux vers le cimetière.
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Message par Esemtis Dim 21 Mar - 23:16

Elle est là.
Elle est venue.
Mince… je suis en retard… ou peut-être est-elle en avance…
Elle s’est rivée sur la pierre, vêtue d’une longue robe noire cette fois.
Ses cheveux d’ébène tombent sur ses épaules. Je peux sentir son regard scruter chaque arbuste, chaque arbre, chaque recoin sombre.

Elle lève les yeux, et se met à chanter.
Quelle douce mélodie… qui étreint mon cœur.
Une mélodie que je ne connaîtrais jamais.
Soudain elle s’arrête… je cesse de m’approcher tout en regardant à mes pieds… saleté de branche !Elle continue de chercher, ose même demander s’il y a quelqu’un de vive voix, mais évidemment je ne vais pas m’annoncer.

Je ne veux pas qu’elle me voie, non… il ne vaut mieux pas. Elle serait déçue… je ressemble à un cadavre ambulant, la peau blanche, maigre, que penserait-elle en découvrant que son poète n’est rien d’autre qu’une personne qui ne devrait plus exister ?

Je ne peux pas, non, il ne faut pas que j’y pense.

Elle s’allonge, et ne tarde pas à s’endormir tandis que l’astre s’est élevé dans toute sa splendeur morne. Après une longue attente, je m’empresse d’aller vers elle. Elle est si merveilleuse lorsqu’elle dort… Ses paupières bougent un petit peu, et malgré elle, elle sourit dans son rêve… celui que je ne pourrais sans doute jamais entrevoir…
Je glisse le courrier sous sa main.
Un mouvement… ses doigts… non !
Je fais demi-tour en courant, il ne faut pas qu’elle me voit !
Sous aucun prétexte elle ne doit savoir qui je suis ni pourquoi je lui écris.

Elle se relève doucement, puis, a dû voir quelque chose bouger pendant son éveil.
Je ne suis pas loin de l’ombre lorsqu’elle m’interpelle.

« Hey! Vous! »

Mes pas deviennent lourds, je m’arrête à la lisière. Elle ne doit apercevoir que ma silhouette de là où je me tiens.

« Merci… pour vos lettres… elles sont magnifiques… Jamais personne ne m’en a écrite d’aussi belles…Est-ce que je peux au moins vous demander votre nom ?»

Mes lèvres s’ouvrent, mais rien n’en sort. Trop timide, ou juste…
Soudain, une autre ombre surgi de nul part. J’entends hurler, mais c’est trop tard. Je m’écroule sentant le poids accablant d’une frappe sur ma nuque.

A mon réveil, je suis dans ma chambre. Mes mains sont attachées par des lanières reliées à un crochet du plafond. Je comprends alors que celui qui me darde de coups n’est autre que mon père.

« Je vais t’apprendre à t’évader ! Je trouverais bien un jour comment tu fais, sal garnement ! En attendant tu vas comprendre ce que c’est que d’être un Brownell, et je te promets mon fils… que lorsque tu sauras… tu ne m’en voudras pas ! »

Un coup de pied dans le creux de mes reins.
Du sang coule le long de mes lèvres.
Une créature cornue s’approche et prend le relais.
Pourvu qu’il ne lui ai rien fait.
Esemtis
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Message par Esemtis Dim 21 Mar - 23:18

J’ouvre mes yeux. Une douleur s’empare de ma poitrine, irrémédiablement je tousse.
Tout est flou, malgré moi.

«Tu vois, tu es incapable de te tenir tranquille. »
« Tu es venu… venu voir… »
« Venu rendre visite à mon idiot de petit frère qui n’en fait qu’à sa tête oui. »


J’essaie d’avaler ma salive, mais ma bouche est remplie d’un goût de ferraille immonde.

« Père m’a raconté… un peu… enfin ce qu’il a voulu. C’était qui cette fille ? »
« Quelle fille ? »
« Celle au cimetière. »
« Je ne vois pas… pas de… quoi… »
« Bien sûr que si que tu sais. Allez, elle est jolie ? »
« Tu vas… le… répéter ? »
« Non, en fait je m’en fiche même. Père aurait pu s’en prendre à elle. »
« Il n’a pas… »
« Non, ne t’en fais pas, elle a fuit. En revanche, il ne t’a pas raté. »


Une main chaude se posa sur mon front. A son contact, avec la peau rugueuse de sa paume, cela me donna la nausée, je ne pu que réprimer un plissement de nez et offrit ainsi à mon frère une grimace.

« J’vois qu’on peu pas te toucher non plus. Bon alors c’est qui cette fille ? »
« J’en… j’en sais rien… »
« Attends… tu vas pas me dire que tu sors on ne sait comment d’ici pour la retrouver et que tu la connais pas ? Tu te foutrais pas un peu de moi ? »
« Non. Elle vient se recueillir sur une tombe à chaque lune nouvelle.»
« Et tu insistes en allant la voir… tu serais pas pervers des fois ? »
« C’est pas ce que tu crois !»


J’essaye de me relever, mais en vain… une autre quinte de toux ravage ma respiration pénible.

« Monsieur est un éternel romantique… pas étonnant avec tous ces bouquins à l’eau de rose que tu as cumulé au fil des ans… sans compter les poèmes et ce genre de conneries imbuvables. »
« C’est tout ce que j’ai. »
« Oui oui, je sais bien. Mais tout ceci ce sera bientôt du passé. »


Il vint s’asseoir sur le côté du lit, affaissant le vieux matelas encore plus qu’il ne l’était déjà. Dans son regard vert je pu, pour une fois, y lire sa volonté.

« Cette ville… n’a aucun avenir. Je vais suivre une formation à la capitale, à Hurlevent. J’ai eu quelques contacts à mes heures perdues, et je vais enfin pouvoir nous faire honneur. Je veux que tu viennes avec moi.»

Ne sachant que répondre à cela, ma bouche resta fermée.

« Tu verras. Après tout nous tenons de notre famille cet apanage depuis des générations. Manipuler les forces de l’ombre et les créatures les plus infâmes, et même les âmes… a toujours été notre plus grand secret… même si te concernant…c’est… »
« Me concernant ? »
« Non, oublie. Ne crois-tu pas qu’il est grand temps que notre famille mérite un blason redoré ? »
« Je ne crois pas en grand-chose. »
« C’est justement ce que je te reprocherais toujours. »
« Je ne suis pas responsable de tes actes. Si tu veux partir fait le alors, mais laisse-moi en dehors de tout ça. Tu sais que où que j’aille Père me retrouvera. Pourquoi crois-tu que je me fais pas la malle ?»
« Tu parles d’une connerie… »


Son regard tentait de croiser le mien. Je fini par détourner mes yeux émeraudes.

« La vie ici n’a rien de bon pour nous… dans une semaine et demi, on sera en route pour Hurlevent. Au moins là bas il y aura peut-être des gens qui nous accepterons tels que nous sommes tous deux. »
« Je ne suis pas comme toi. »
« Que tu le veuilles ou non, on est du même sang, de la même trempe. Je te propose peut-être une vie meilleure loin de tout et tu refuses d’en parler !»
« Laisse… laisse moi. »
« Comme tu veux. Mais tu finiras par accepter… car nul au dehors ne te traitera comme tu l’es ici. Et crois-moi, personne ne tient autant à toi que moi et la grande. »


Il se leva, esquissa un sourire et s’éloigna vers la porte.
Qu’est-ce que ça signifiait ? Pourquoi mêlait-il la grande sœur là dedans ?
Et puis cette proposition… comment échapper à mes propres parents ? Ils me traqueraient… et me tortureraient pour leur propre plaisir inlassablement.
Mes yeux se fermèrent, laissant les larmes s’y échappant couler sur le long de mes joues sales.
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Message par Esemtis Dim 21 Mar - 23:22

Elle est là, contre moi.
Ses cheveux noirs longs et bouclés sont si doux… leur parfum délicat me laisse rêveur. Je caresse lentement son bras, et elle relève la tête, me souriant. Je me sens bien, je suis heureux, véritablement heureux depuis bien longtemps. Soudain, ses yeux deviennent écarlates, du sang les aveugle… du sang qui coule sur son visage doré.

Je tousse et me relève, l’air perdu, le corps complètement en sueur. Je suis seul dans mon lit. A mes côtés il n’y a personne, juste un coussin, et mes draps. Je m’assieds sur le rebord, en soufflant. J’essuie mon front, mes tempes et ma nuque avec une main. Qu’est-ce que c’était que ce rêve immonde ? Pourquoi elle, pourquoi ses yeux mélancoliques se transformaient en une marre de sang…

Non loin de là, dans le noir de la piaule, quelqu’un se mit à rire.
Encore lui.

« Alors tu ne dors pas bien ? »

Il alluma quelques bougies, les unes après les autres en tournant en rond dans la pièce.

« Ca fait longtemps que tu es là ? »
« Non. Je viens te chercher en fait. L’heure est venue. »
« Venue… venue pour quoi ? »
« De partir. »
« Partir où ? »
« A Hurlevent. Je t’en avais déjà parlé je crois. »
« Oui mais je ne t’ai pas donné mon accord. »
« Accord ou pas… on a pas le choix. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »
« Père et Mère se sont suicidés hier. Tu aurais dû voir ça… ils y sont pas allés de main morte. Les veilleurs et la grande sœur ont dû tout nettoyer. L’enterrement est pour demain. »


Je restais là, assis, abasourdis.

« Père m’avait demandé de prendre soin de toi, et de faire de toi un homme. Alors debout ! »

Il remuait mes affaires, mes livres, mes vêtements… les jetait à terre.

« Tu cherches quoi ? »
« A prendre ce dont tu as besoin… t’as une valise ? »
« Je… non… »
« J’irais en prendre une là haut alors, à la maison. »
« Mais… Papa… Maman…je suis sûr que le Kirin Tor y est pour quelque chose, tu ne crois pas ? Père n’a pas prit sa retraite anticipée pour rien ! »
« C’est un peu tard pour t’en soucier. Quand je pense qu’ils t’ont tout légué ces fumiers. »
« Légué ? Légué quoi ? Leurs tortures ?! Leurs mensonges ? La bouillie emplie de sang animale que je devais ingurgiter ? L’eau dégueulasse de l’étang qu’ils me donnaient pour me désaltérer ? Un frère et une sœur qui ne pensent qu’à leur gueule sachant ce que j’endure à cause de leur silence?! »


Je me levais, le poing fermé, la mine blanche. Il a dû deviner que la pilule allait pas passer, pas après tant d’années à avoir subit des choses innommables, les mensonges, être forcé à se plonger dans des livres pour oublier d’être emprisonné car j’étais plus apte à emprisonner des âmes dans des petites gemmes que nos propres parents…

Esemtis et Aleranis se regardèrent, face à face, sans se cacher la moindre émotion.

« La maison, la grange, enfin… ta chambre… et la terre. Voilà ce qu’ils t’ont légué. Quand à moi j’ai tout fait pour qu’ils arrêtent ce qu’ils te faisaient ! Alors garde tes reproches pour toi ! »

Soudain, un écho retentissait dans mon être… une fureur montait dans mon flux sanguin. Mes jambes se mirent à trembler sous mon poids.

« Tu… tu m’as menti ! Tu… tu les as tué !!! »

Le visage d’Aleranis se mit à rougir de colère.

« C’est plus l’heure des pleurnicheries. Ecoute-moi bien, les livres c’était mon idée. Et toutes les fois où tu t’es échappé et où Père n’avait rien vu… c’était parce que je le retenais en conséquence. Tu croyais quoi hein ?! Que j’allais te laisser pourrir là ? La grande venait toujours me voir en pleurnichant car elle savait qu’ils allaient réitérer… elle a beau s’être entichée de ce veilleur, celle-là, elle s’est toujours préoccupée pour toi. Tous les habits que tu as sont des cadeaux d’elle, que Mère n’a jamais pu jeter par peur de se disputer avec sa fille et qu’elle crie sous les toits ce qu’ils faisaient.
J’ai fait ce qu’il fallait.
Qui d’autre aurait pu le faire ?
Alors maintenant, tu viens avec moi.
On va partir de ce trou à rat tous les deux. »


Mais je n’entendais rien. Mes tempes grondaient d’impatience laissant saillir des veines colériques. Mon cou gonfla, et ma respiration se fit moindre, suivant le battement de mon cœur.

Ils sont morts… je n’aurais jamais la satisfaction de pouvoir me venger… de les voir souffrir, souffrir autant que j’ai souffert.

Au fond de mon âme, se dessinait un maëlstrom noir aspirant tout sur son passage : Je levais le poing et laissa toute la magie, qui depuis mon emprisonnement avait été laissée de côté, déferler vers lui. Mon frère n’eu que le temps de se laisser tomber à terre que déjà un trou béant noir aux encornures violacées grondait contre le mur, menaçant de l’engloutir. Il se mit à hurler à travers la pièce, mais tout ce que je pu entendre fut une voix ténébreuse au fond de moi.
Une voix qui ne m’était pas inconnue… sinueuse… sereine.

« Il est trop tard. Inutile de persister. »

Ma propre voix.
Le tourbillon s’effaça de mes pensées et le sortilège cessa.
Mon frère accouru vers moi alors que sourdement… je tombais au sol.
Ma vue se voila… je devins inconscient.
Esemtis
Esemtis

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Message par Esemtis Dim 21 Mar - 23:26

La journée s’était lentement passée en remplissant des tonnes de paperasses à la Mairie. L’enterrement en fin d’après-midi n’avait pas été des plus joyeux.
A vrai dire, je me suis maintenu à l’écart durant la cérémonie.

Peu de gens étaient venus et pour ceux qui étaient là, ma présence semblait les déranger… comme si j’étais une bête curieuse. Avec ce meurtre dissimulé, tous devaient penser que c’était à cause de moi qu’ils en étaient arrivés là. Leurs regards pesants et accusateurs n’en démordaient pas. Nous marchâmes jusqu’à la maison des Brownell, pour y prendre nos affaires. J’ai refusé d’y rentrer. Toute mon existence se résumait à la cave dans la grange.

Je jetais un dernier coup d’oeil… où j’avais été cloîtré durant des années. La lueur de la lune me laissait deviner l’état de la toiture et des murs en bois. La maison, adjacente, avait l’air de tomber en ruines. Père n’avait pas été très soigneux, et Mère encore moins.

Quel moment que celui-ci… je suis enfin libre… mes chaînes sont brisées… enfin presque. Mon frère vint à mes côtés, et ma sœur arriva accompagnée de son « ami ». Tous trois me prirent dans leurs bras sans même que je ne le veuille, mais je préférais ne pas leur en toucher mot. Un adieu reste un adieu. Peut-être reviendrais-je… j’ai donné mon accord à ma sœur de rétablir l’endroit à sa guise, histoire qu’elle s’occupe. Elle a fait un double des clés, et m’a dit qu’elle verrait ce qu’elle pourra y faire.

Qu’importe.
La route nous attend désormais.
Mon regard s’éloigne en suivant la marche que l’on entame. Je sens que sur chaque chose où je pose mes yeux, rien ne sera pareil, tout est devenu fade et sans intérêt. Au fond de moi je sais que quelque chose veille. Au fond de moi je sais qu’une nouvelle histoire commence… jamais je ne pourrais oublier… jamais je ne pourrais me reforger totalement.

En tout cas, j’emporte avec moi les souvenirs, les lourds fardeaux de mon existence… mon bagage à démons comme on dit. Et cette image d’elle… ancré dans mon cœur meurtrit.

Le pan d’une robe frôle une tombe. Une enveloppe vibre lorsque le vent tente de la soulever avec la pierre pourpre qui la retient. Le parchemin à l’intérieur est façonné d’encre noire. L’on peu y lire :


« Voici mon dernier hommage, mais il ne sera pas en vers.
Je sais que vous ne pourrez me pardonner et que rien ne pourra changer ce que j’ai fait. Cette gemme vous revient de droit, elle préserve une partie de l’essence de celui que vous pleurez.
Adieu.
E.B.»


Le bruit d’un éclat résonne dans le cimetière, puis un cri effraie une nuée de corbeaux qui s’élève dans le ciel nocturne et s’évade à travers le Bois de la Pénombre.

Je lève mes yeux vers eux… une page est tournée.


Dernière édition par Esemtis le Lun 22 Mar - 1:11, édité 1 fois
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Le Cloître ~ Bribes d'une vie ~ Empty Re: Le Cloître ~ Bribes d'une vie ~

Message par Esemtis Lun 22 Mar - 1:10

Hrp
Bonjour, après avoir hésité longuement je me suis décidé à poster un morceau de l'histoire d'Esemtis. Les textes peuvent encore comporter des fautes, des répétitions, ce qui rend la lecture lourde, si vous en voyez n'hésitez pas à me les signaler: je rectifierais en conséquence.

J'espère que son background vous plaira néanmoins, et vous remercie par avance d'avoir prit d'un peu de votre temps pour le parcourir du regard.
A très bientôt!

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Première édition
---------------------
Bonjour Kelana, et merci pour ce message encourageant.
J'édite ici afin de ne pas alourdir le sujet, question pratique.
J'apposerais d'autres écrits un peu plus tard, lorsqu'ils seront retravaillés, c'est promis!
A une autre fois!

---------------------
Deuxième édition
---------------------
Je dépose la suite après le message de Kelana, bonne lecture!


Dernière édition par Esemtis le Mer 14 Avr - 20:50, édité 2 fois
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Le Cloître ~ Bribes d'une vie ~ Empty Re: Le Cloître ~ Bribes d'une vie ~

Message par Kelana Lun 22 Mar - 9:06

HRP : Très prenant, très intéressant, et qui plus est un régal à dévorer. Il me tarde de lire d'autres récits de ta plume !
Kelana
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Le Cloître ~ Bribes d'une vie ~ Empty Re: Le Cloître ~ Bribes d'une vie ~

Message par Esemtis Mer 14 Avr - 20:58

« Je n’y arrive pas, Maître. »
« Il va le falloir, jeune homme. Je doute pouvoir vous accorder une tutelle si vous continuez ainsi. »


Zardeth, ou la « Griffe-Noire » comme on l’appelle me tourne le dos, et s’empresse de s’occuper d’un autre disciple tentant d’effectuer la même chose que moi. Le regard malicieux et moqueur de ce dernier me donnerait envie de lui sauter au cou et de l’étrangler, mais en réalité il n’en est rien. Je suis proprement incapable de tuer pour tuer. Quand je pense qu’Aleranis lui n’a pas ce problème…

Je secoue ma tête pour me sortir ces idées néfastes. Après tout un peu d’insistance ne me ferait pas de mal. Je retente. Une paume vers le haut, l’autre vers le bas. Le glyphe au sol commence à prendre forme, presque le même que celui que maintient notre maître. Les résidus écarlates font briller le carrelage gris du petit ossuaire où l’on se trouve. Ca sent le renfermé, et j’ai l’impression à chaque inspiration de revivre le cauchemar de ma chambrine.

Soudain, je replie certains doigts, et à mes pieds le dessin se précise.
Le souffle de l’examinateur dans mon cou me fait sursauter.
Je bouge légèrement, le sort s’efface malgré moi.

« Piètre et maladroit. Comment espérez-vous devenir un néantin digne de ce nom, jeune Esemtis ? Voulez-vous qu’on vous surnomme « Ineptus Nihili » dans le métier ?! »

Ses mots me blessent, mais je persiste. Je me replace en essayant de chasser ses dires de mon esprit. De la sueur commence à perler lentement sur mon front et à rouler le long de mes tempes. Je réitère, tandis que j’entends une exclamation de joie dans mon dos : l’autre élève a réussit. Son glyphe pourpre est aussi net que celui du professeur temporaire. Soudainement j’enrage. Je le maudirais si je le pouvais. Tout ce qu’il fait il le réussit, alors qu’il me faut redoubler d’efforts pour faire ne serait-ce qu’un quart des siens. Il m’énerve ce sale gosse: Lui n’est pas dérangé par la présence des autres. Je l’envie.

« Cela pourrait être parfait si je vous avais demandé de le réaliser à l’envers. Recommencez, c’est inacceptable. »

Je regarde plus attentivement le signe : le maître a raison, cette andouille l’a fait à l’envers. Je commence à sourire béatement, mais un autre souffle rauque passe près de mon oreille.

« On ne lambine pas. Recommencez vous aussi. »

Mes mains reprennent la position adéquate pour incanter. Puis soudain, une question me hante. Je me retourne vers notre tuteur de fortune.

« Maître, pourquoi nous faire créer un glyphe alors que nous n’en connaissons aucun ni les avons étudié ? »
« Pour voir si par imitation vous pouvez en « copier » un et vous l’approprier, vous en imprégner en ne laissant pas l’ombre fluide se disperser. Vous aurez bientôt tout le loisir d’étudier ceux qui ont pu être répertoriés, cependant les livres d’adeptes ne vous apprendront que bien trop peu. Le meilleur moyen est donc de s’exercer et d’étudier soi-même, de faire ses propres théories, expériences et conclusions. Mais le moment n’est pas venu pour vous deux. Tant que vous en serez à ce stade, vous serez des bons à rien et vous ne ferez que gaspiller mon précieux temps. »


D’un air agacé il se dirigeait vers l’escalier ténébreux, avant de nous darder un regard furibond.

« Recommencez jusqu’à épuisement total de votre corps. Cela devrait vous apprendre à vous maîtriser. Vous avez jusqu’à trois jours. »
« Trois jours, Maître ?! Mais… comment allons-nous faire pour boire et manger ? »

L’autre élève semblait moins confiant tout à coup.

« Vous n’aurez qu’à considérer que vous sustenter est primordial. »

La robe noire et turquoise disparue, il y eu un rire.

« Je sais qui sera le premier à tomber, vu comme t’es maigre, demain soir tu seras mort. »
« Crois ce que tu veux, mais je sais me sustenter presque une bonne semaine. »
« Avec ce corps frêle ? Tu te fiches de moi ? »
« Non. »
« Tu fais comment alors ? »
« Ca ne t’intéressera pas. Le seul but que tu as est de faire plaisir à Zardeth, d’acquérir pouvoir et renommée et de prendre sa place. »


Il attrapait déjà le col de ma robe noire, et ses yeux marron me fixaient d’un regard perçant.

« Dans ton intérêt, tu ferais bien de me dire. »
« Sinon quoi ? Tu vas me taper ? »
« Te tuer plutôt. Je dirais à Zardeth que tu étais jaloux de moi et que tu as tenté de m’éliminer. »
« Et il ne te croira pas. »
« Bien sûr que si. Alors ? »


J’abaissais ma tête, déviant mes yeux.

« Il suffit d’imaginer que tu portes des chaînes, et que les maillons qui la constituent disparaissent petit à petit. Durant tout ce temps où une partie de ton esprit est occupé, tu peux faire tout ce que tu veux, même souffrir. »
« Hein ?! C’est ça ta… méthode ?! Et tu espères me la faire gober ?! »
« Il n’y a rien de pire que de connaître les chaînes qui lient nos âmes au monde et à tout ce qui nous est cher : elles sont éternelles et ne peuvent être brisées que partiellement. Rien ne peu totalement nous en défaire, pas même la plus grande des volontés. Seule la mort elle-même est digne de ne pas en avoir.»
« Tu imagines donc que ton estomac est une de ces chaînes ? »
« C’est ça. »


Il relâcha le tissu, et l’essuya.

« Tu as l’air de savoir de quoi tu causes. Pardon pour tes vêtements et… le reste. »
« Ce n’est rien. »
« Esemtis, c’est ça ? »


Je retroussais mes manches longues, et quittait mes chausses tout en acquiesçant.

« Moi c’est Argar. Et si on se partageait la pièce ? »
« Ca me va.»
« Super. On a qu’à se placer à faces opposées. Ca nous aidera.
Par contre tu ne m’as pas dit comment on matérialisait dans sa tête une chaîne… »
« Si tu préfères imaginer une corde, ou un liquide gluant ça peu fonctionner aussi, le tout est de trouver quelque chose que tu puisses mentaliser facilement. »
« J’allais le dire. Une corde… j’aime bien. Quand j’étais gamin les autres m’attachaient aux arbres pour jouer au tir à l’arc. Autre chose… comment tu fais pour te déconcentrer malgré ta façon de procéder ? »
« C’est juste parce que… »
« T’es nerveux c’est ça ? »
« Oui… non… en fait je déteste qu’on me touche, ou qu’on s’affaire par-dessus mon épaule. »
« Haha ! Avec Zardeth qui te renifle toutes les deux minutes… c’est vrai qu’il est emmerdant. Je doute même qu’il en sache autant qu’il le prétend. Sans lui tu pourras mieux te figer sur le sort. »
« Tu commences ? »
« Ensemble, à trois ! Un ! Deux ! Trois ! »


Nos mains s’ouvrirent à l’unisson, fouettant l’air.
Malgré tout, il m’arracha un sourire sincère.
Argar.
Je ne sais pas bien quoi penser de lui.
Trop espiègle, une petite frappe… lui aussi a dû en baver. Je me sens moins seul.
Ma jalousie s’est dissipée après cet échange… peut-être que je devrais moins réfléchir au sujet des gens.

Nos sorts se conjuguent, et les glyphes ne tardent pas à apparaître au sol, se figeant après quelques heures jusqu’à ce que les trois signes s’entrelacent parfaitement.
L’incantation est finie.
On s’écroule sur le sol, épuisés, mais Argar et moi échangeons un air ravi.
Une tête passe la porte.

« Messieurs, je vous félicite. Je vois que le petit mensonge des jours à passer ici vous a aidé. Vous pouvez rentrer chez vous. Argar, avant, allez parler à Sandhal à l’étage. Il sera votre nouveau tuteur. »

Argar se lève et me salue d’un geste discret du menton.
Il se courbe devant Zardeth, et s’empresse de monter les escaliers, le visage éclairé de bonne humeur suite à cette annonce.
Je prend mes bottines, et les remet insatisfait.
Le maître n’a pas dit : « Epreuve réussie. ».
Je m’en veux. Qu’ai-je donc fais pour ne pas y arriver cette fois ?

Le maître s’approchait de moi farfouillant dans sa robe aux plis multiples.
Il me tendit un paquet mou. Me relevant aussitôt, il insista d’un geste sûr.

« Ce qui habite votre camarade d’étude ne me plaît pas. En revanche, j’ai constaté votre calme, et surtout la façon dont vous avez su le mettre en confiance. Tout manipulateur de l’ombre se doit d’être ainsi. Considérez qu’à partir de demain vous serez personnellement sous ma tutelle. »
« Car nous ne l’étions pas, Maître ? »
« Non. Vous n’étiez qu’en test. Argar se verra assigné sous Sandhal. Il a beaucoup trop de choses à apprendre et je ne peux pas me permettre d’être derrière lui à chaque instant. Un peu de discipline ne lui fera pas de mal. J’ai besoin d’une personne comme vous, déjà prête en un certain sens.»


Voyant ma moue changer de bord, ce qui allait se révéler être mon mentor continua de sa voix tranchante.

« Ayant réussit ce premier test, vous serez donc mon assistant, si vos ambitions y correspondent, et si vous le consentez. »
« Ce serait un honneur Maître. »
« J’espère qu’elle est à votre taille. Prenez en soin. »


Il s’éloigna vers les escaliers d’un pas vif, avant de se tourner.

« De ce fait, pour les temps à venir, je ne vous soufflerais plus dessus, ni ne vous toucherais. Personne n’aime cela, c’était uniquement pour voir vos réactions.»
« Vous avez… »
« Entendu ? Fait exprès ? Bien sûr. N’oubliez pas, venez demain à la première heure, et… saluez votre frère de ma part, depuis sa réussite à l’examen je n’ai guère eut le temps de le revoir.»
« Je n’y manquerais pas Maître. »


Il étira ses lèvres en un semblant de sourire, puis s’engagea dans l’ombre en me laissant seul.

J’ouvrais alors le paquet… une robe… identique à celle de Zardeth.
Aleranis va être content ! Oh que oui ! Mon frère va être fier de moi !
Un sentiment agréable parcoure mon être, et frôle mon cœur… enfin j’ai fait quelque chose de mes dix doigts, enfin je vais pouvoir devenir quelqu’un.
Je coule mon regard à travers la salle lugubre.

Le symbole d’Argar a disparu tandis que le mien persiste avec celui de mon Mentor.
J’espère que tout ira bien pour lui, il n’est pas si mauvais dans le fond.
Esemtis
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Message par Esemtis Mer 14 Avr - 21:10

Me voilà dans cette boutique tant prisée par les jeteurs de sorts. Il y a de tout. Pour peu que l’on s’attarde sur le comptoir et les étalages, cela donnerait presque envie de tout posséder. Les composants sont nombreux et de très bonne qualité. A en juger par le prix, nul doute…

La femme qui s’occupe des lieux caresse inlassablement un lapin blanc. J’ai entendu des clients rire à ce sujet, en disant qu’elle avait transformé son mari ainsi pour le faire porter disparu, et hériter de l’établissement afin de s’en mettre plein les poches. La pauvre. Elle a l’air si esseulée… ses yeux ne trompent pas malgré l’apparence entretenue qu’elle arbore. Une tristesse s’en dégage lorsqu’elle ne s’affaire pas à ranger ou à servir un client un peu capricieux. Je viens souvent là, Zardeth a toujours besoin de choses étranges pour réaliser des rituels visant à m’exercer.

C’est un mentor exceptionnel. Je n’aurais jamais cru pouvoir dire cela un jour de lui, mais il est très respectueux vis-à-vis de moi, et je ne compte plus le nombre de choses qu’il m’inculque. Peut-être est-ce parce qu’il y a une autre raison… Aleranis m’a dit l’avoir blessé lors de l’examen final. Il n’a pas voulu m’en dire plus, mais je crois que Zardeth le craint.

Quand à mon frère, il est resté bien trop vague pour que je puisse connaître tous les bouts de cette histoire. En revanche je pense savoir qu’il connaît toute notre famille. Parents compris. Une fois, alors qu’il avait invoqué une créature à qui je devais aspirer l’âme, il a exprimé quelque chose qui m’a semblé louche : « Tout son père » avait-il glissé tout bas à un autre maître démoniste, venu spécialement pour contrôler la bête si je venais à échouer.

Cette simple phrase retenti encore dans mon crâne.
Je ne suis pas mon Père… je n’ai rien de lui… je suis juste moi.
Moi, moi et rien, ni personne d’autre.
Une main fine devant mes yeux m’interpelle.

« Vous vouliez autre chose que ce carnet, jeune homme ? »

Je rougis. Je m’étais encore perdu dans mes pensées.
La tenancière me regarde d’un air rieur.

« Vous allez me faire le coup à chaque fois ? »
« Chaque fois ? »
« A chacun de vos passages, que vous achetiez ou non, vous restez debout, immobile, comme si vous étiez ailleurs. Oh, loin de moi de vouloir m’immiscer dans vos affaires, mais c’est que c’est l’heure de fermer voyez-vous… je ne doute pas qu’il s’agit d’une jolie fille… mais j’ai d’autres chats à fouetter. »
« Oh pardon Madame… je… non… pas une fille, non… »

Mes mains gantées devinrent noueuses tout à coup. Je les glissais dans ma bourse.

« Tenez, un charbon pour écrire… et une petite chaînette pour l’accrocher à votre ceinture. Ca peut-être très utile. »
« Je vous dois… combien déjà ? »
« Juste deux pièces d’or pour le livret vierge. Le reste c’est cadeau de la maison. Vous êtes un très bon client, même si je dois vous chasser si je veux rentrer chez moi ce soir. »

Elle souriait, et empochant les pièces que je venais de déposer sur le comptoir, elle noua la chaînette au carnet, rangea le charbon dans la reliure de cuir à l’aspect vieillit, et fit le tour. Elle vint vers moi.

« Vous êtes gaucher ou droitier ? »
« Droitier, Dame. »
« Je m’en doutais. »

Ni une ni deux, elle me tourna la taille sans me demander mon avis, ni sans même attendre. Elle glissa la fermeture en forme de « T » par la ceinture, et y clipsa la chaîne. Le carnet pendouillait à peine. Elle retira ses doigts délicats aux ongles longs.
Les mains sur les hanches, elle observait son œuvre.

« Parfait, regardez, vous pourrez l’avoir constamment avec vous. »
« Merci, c’est… »
« Gentil ? Oui je sais. »

Elle frappa de ses mains l’air embué d’encens, souriante.

« Allez allez, c’est l’heure. »
« Oh… euh… pardon, oui… »

Lorsque la porte fût passée, elle la ferma à double tour.
Le bruit du verrou me mit mal à l’aise, pour changer.
Sur le chemin du retour, je me rendis compte que je pouvais tenir mon carnet à la main pendant que je marchais. C’est ici que j’apposerais toutes mes recherches et mes expériences. J’y inscrirais mes sorts et les étudierais en profondeur. Ce grimoire me sera très utile. J’en arrive même à me demander pourquoi je n’avais pas pensé plus tôt à consigner ce que j’avais apprit. En cas d’une éventuelle perte de mémoire, cet opuscule serait d’une grande aide.

Je me demande si mon frère en possède un… sûrement…
Je caresse le cuir craquelé en me promenant, m’y habituant, comme si ce corps étranger devait désormais faire partie de moi. Je m’y attacherais presque. Ces pages parcheminées ne demandent qu’à ce que je leur concède mes pensées, même les plus infructueuses. Je sais déjà ce qui figurera sur les premiers vélins. Je travaillerais à la lueur des bougies à la cire d’abeille. Leur odeur captivante me donnera suffisamment d’inspiration pour écrire sans relâche.

Une femme, enroulée de la tête aux pieds dans une longue pèlerine noire, passe près de moi dans la ruelle. Soudain un écho refait surface.


« …je ne doute pas qu’il s’agit d’une jolie fille… mais j’ai d’autres chats à fouetter. »
« Oh pardon Madame… je… non… pas une fille, non… »

Le frottement du vêtement s’estompe alors qu’elle doit être loin derrière moi.

« Pas une fille. Peut-être jamais d’ailleurs. »

Ma voix rauque retentit dans la venelle, tandis qu’Erich Lohan apparaît au bout. Il fait encore sa promotion pour le Solitaire Bleu et ne tarde pas à me saluer joyeusement, comme à son habitude.

« La magie doit vous fatiguer, Esemtis. Allez vous rafraîchir les neurones avec une bonne bière ! »

Je ne peu que lui intimer un sourire et faire comme si.
La bière, c’est dégoûtant. Enfin non, pas si on a déjà un verre de trop dans le nez.
Mais un petit bourbon… ou un vin chaud… non !
Je vais rentrer, souper et me mettre au lit de bonne heure. Demain, je dois étudier ces notations et commencer à me formaliser avec mes études, car bientôt elles deviendront mon gagne-pain. Je sais que de nombreux jours couleront paisiblement avant que je ne devienne un érudit, mais je ne veux jamais que l’on me nomme « Ineptus Nihili » comme l’avait si bien dit Zardeth une fois…

« Ineptus Nihili », voilà comment me souvenir que je ne dois pas bifurquer du chemin que j’ai entrepris. Soit. Je porterais cette mention stupide jusqu’à ce que j’estime être suffisamment responsable et sage. L’échec à l’épreuve… serait une chose que je ne pourrais supporter. En attendant, je serais un néantin malhabile, et, ça me convient bien.
Esemtis
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Message par Esemtis Mer 14 Avr - 21:16

Une belle journée. Je n’ai pas grand-chose à faire, à part relire ce que j’ai formulé ces trois derniers jours. J’en profite pour faire un tour dans la ville. Rien ne changera d’hier, tout se ressemble : les passants, les mots que j’entends, les bruits… quelle tristesse monotone. J’ai l’impression que ma vie défile sans pouvoir y remédier.

Il y a tellement de choses à assimiler en une seule traite.
Tous ces gens agglutinés me donnent la nausée.
Au moins je ne suis pas dépaysé de mon petit chaos confortable, mais je me surprends à sortir en Elwynn, et me rendre au lac, puis à la taverne. Là bas ils ont un bourbon de premier choix, et puis Aleranis n’est pas là pour me réprimander. De toute façon il n’a plus son mot à dire.

Quelle tranquillité ici. Mon regard s’attarde sur le sol boisé, et je m’éprends à rêver de choses qui pourraient m’être douces à vivre. Mais évidemment en revenant à moi, je trouve le moyen de renverser ma boisson dessus. La robe que Zardeth m’a offert… mon carnet… quel ineptus incorrigible !

Une main me tend une étoffe propre.
J’ose à peine lever les yeux.
Une jeune femme, vêtue de cuir, les cheveux relevés, un regard aussi émeraude que le mien. Pourquoi cette amabilité envers moi ? Je ne la connais pas, mais elle me sourit, et me dit qu’elle a rarement vu plus maladroit qu’elle.

Une rencontre intrigante, mais je reste sur mes gardes, comme toujours. J’accepte volontiers, et m’essuie promptement, expliquant que j’étais ailleurs… enfin ça, c’est le moindre qu’on puisse dire. Idiot ! Tu vas lui être redevable maintenant ! Voilà que je m’éprends à lui expliquer ce que je pensais à l’instant. Andouille ! C’est une femme, et les femmes, selon Aleranis, savent toujours où elles vont même si elles t’affirment le contraire.

Pleutre.

Finalement, je l’invite à boire un verre, c’est là tout ce que je peux faire pour la remercier. Acceptant, ce qui est étrange… elle se met à parler d’elle. Elle veut un surnom, mais n’arrive pas à en trouver un. Alors je cherche dans ma tête, lui en énumère… puis petit à petit elle me dévoile quelques bribes de sa vie. Je vois bien qu’elle ne me dit pas tout, mais les marques sur son bras et sa joue… aucun doute, elle se fait battre souvent.
Je ne peux pas m’empêcher d’effleurer mon passé.
Je reste le plus silencieux possible là-dessus. Je ne voudrais pas l’effrayer, ou lui dire de tout abandonner. Non, elle a sa vie… il faut que tu arrêtes de te mêler de ce qui ne t’incombes pas Esemtis.

Quel con.
Non, il n’y a pas d’autres mots. Je suis con.

Elle m’a dit que j’étais gentil. Ca, en revanche, c’est plaisant. Je voudrais bien la revoir. Elle a l’air sympathique. J’adore ses « ouais ». Ca me change des élèves féminines de Zardeth qui ne font que parler comme des nobles en faisant des phrases à rallonge et dont je dois m’accommoder. D’ailleurs, elle m’a demandé si j’en étais un, de noble. C’est vrai qu’avec cette robe, et ma chevalière… mais non.
Au moins, elle sait ce qu’il en est.

Je lui parle très peu de moi à contrario. Juste que j’ai un frère, une sœur et que mes parents ne sont plus. C’est largement suffisant pour quelqu’un que je ne connais que de quelques minutes à peine. En tout les cas, j’espère qu’elle viendra en ville. Je viens de lui promettre de lui faire la lecture au Puits du quartier des Mages.

J’enrage.
Pourquoi lui avoir indiqué où j’étais le plus souvent quand je ne traîne pas avec Aleranis ou quand j’erre entre les quatre murs de ma chambre ?
J’en sais rien.
Quel con.

Elle veut faire un tour dehors… bon.
J’inspire doucement, je n’ai pas l’habitude de me promener avec une damoiselle.
Ah. On dirait que cet homme là, dehors, la connaît. Il l’aborde sans vergogne.
Il doit discuter avec elle… puis un autre arrive aussi, mais accompagné celui-là.

Qui sont ces gens ?
Trop de monde… la nausée me reprend instinctivement.
Prendre congé ! Oui… prendre congé. Hurlevent n’est plus très loin.
Je la salue, elle, et les autres aussi, puis je m’empresse, je doute que puer l’alcool soit bien vu.

Tout ça pour des bribes de vie… croisées.

De toute façon il faut que je reste concentré. Je sais que bientôt je passerais une épreuve, et je dois m’y préparer. Où est mon carnet… ? Je farfouille dans ma robe et suit la chaînette jusqu’à le toucher du bout de mes doigts. Les perditions, voilà une angoisse à laquelle je ne m’attendais pas. Je vais passer à la boutique. Il faut que j’achète de quoi entretenir la couverture du livret, avant que d’autres verres d’alcool ne viennent s’ajouter dessus.

Quelque chose tombe à terre… l’étoffe.
Je la ramasse, et continue mon chemin.
Esemtis
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Message par Esemtis Mar 20 Avr - 2:03

Le claquement résonne sur ma chair une fois de plus.
De la salive coule sur mon menton, tandis que je mords l’un de mes avants bras.
La douleur extirpe de mes yeux quelques larmes. Mon dos lacéré est cuisant, comme si je m’étais brûlé à vif en me jetant dans un brasier.

Des pas retentissent derrière moi, crevant le silence à peine dérangé par le seul crépitement d’une lampe à huile, soutenue d’un fer long descendant depuis la poutre principale du plafond.

Je soupire d’une courte délivrance entre chaque coup qui m’est porté. Au début je tournais ma tête, pour darder mon regard vengeur, mais à présent, elle reste collée entre mes bras mouillés. Mes doigts crispés se desserrent, retombant lascivement. Mes poignets sont liés au fer forgé de la tête de lit, par des chaînes multiples.

J’essaie de remuer mes mains, mais je n’y arrive plus. La volonté quitte déjà mon corps, tandis que mon esprit hurle au fond de moi. Je voudrais les briser d’un seul gnon pour m’en défaire. Je me relèverais pour ne plus être à genoux face à mes détracteurs, qu’ils se rendent compte que je tiens encore debout malgré tout ce qu’ils m’infligent. Je veux voir de la peur dans leurs yeux écarquillés, je veux y voir mon reflet : celui d’une âme dévorante et dévastatrice commettant l’irréparable pour gagner enfin sa liberté. Ou alors que la mort m’emporte… mais vite.

Je referme mes yeux pleureurs.
Une autre exaction m’arrache un gémissement.
Ces sévices ne cesseront donc jamais ?!
Quand ? Quand est-ce que tout cela s’arrêtera une bonne fois pour toutes ?!
Quand… Quand…
Ma tête roule contre mon épaule. Sur mes joues s’est étalé le sang des plaies que je me suis fait aux bras. Mais il est vain de me mordiller ma chair pour étouffer mes plaintes : je suis à bout à présent, et même ma mâchoire est devenue affligeante.

« Alors mon fils, que dis-tu de ma nouvelle punition ? Est-elle efficace ? »

Des sabots raclèrent le sol, laissant traîner à leur suite un fouet de cuir noir.
On croirait un serpent qui se tortille, explorant les lieux qu’il vient de découvrir.
Je ne peux pas répondre. Et de toute évidence, je n’en ai pas envie, non il n’aura pas la satisfaction de savoir ce que je pense : après tout c’est là l’unique endroit où je peux m’exprimer franchement.

« Je vois. Cela t’es indifférent… Carolla, continuez je vous prie. »

Je plisse mon front et serre mon regard fermé. Non… non… pas encore… je vous en supplie…

« Avec plaisir. Enfin un peu d’amusement.»

La démone revint vers moi, le sourire étiré à l’idée de me maltraiter encore. Les succubes jouiraient presque lorsque l’une de leurs proies est à l’agonie après des heures interminables de violence, et je n’en suis pas loin.
Ces vingt-sept coups sont les vingt-sept de trop.

Mon regard s’entre ouvre sur les chaînes qui me maintiennent prisonnier. Je contemple les maillons de fer, m’inspirant de chacun, comme s’ils faisaient partie de moi, comme s’ils m’entouraient pour me protéger. Fortifier mon être qui ne demande qu’à s’ériger. L’image d’une tour imprenable s’empare de mon esprit, Voilà ma carapace indestructible.

Un ongle pointu racle ma chair ouverte, portant le liquide pourpre à sa bouche.

« Je ne vous ai pas autorisé à faire cela, Carolla. »

La voix bourdonne à mes oreilles. Tout devient sourd.

« Je vais vous laisser continuer. Oh, juste quelques coups, je ne tiens pas à ce qu’il meure, juste qu’il apprenne à ne jamais plus me défier. »
« A votre guise. »

La porte de ma chambre claque, et l’obscurité regagne l’ensemble de la pièce.

L’odeur de camphre est tout simplement étouffante. Une main forte et vivace relève ma tête avant de me gifler sèchement. Quelqu’un s’agenouille devant moi, mais tout est si confus… La succube lèche son revers de main, se délectant du doux nectar que je pourrais lui offrir si elle persiste dans son entreprise. Elle m’observe. Je le sais, je pourrais être un met de premier choix.

« Si elle continue, petit Esemtis, Carolla ne pourra plus s’amuser avec toi. Quel joli petit jouet… si fragile... il ne faudrait pas le casser aussi vite n'est-ce pas? Ahahahahah. Oui ton sang lui plait bien, gamin.»

Cette façon de parler d’elle-même, cette démone prétentieuse mériterait que je lui arrache le cœur de mes mains et que je l’engouffre entre mes dents, le déchiquetant sous ses yeux révulsés par la confusion de l’instant.
Mais ce sont mes yeux qui roulent vers l’arrière.

« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA »
« Hey ! Quoi ? Qui c’est ? »


D’un ton plaintif mon frère remue dans son lit, et moi je suis assis dans le mien, les cheveux collant mon front. Je suis bien dans ma chambre, oui… mais celle de l’auberge… Quel cauchemar… encore… ils me reviennent inlassablement.
C’est insupportable.

« Zzzzzz Zzzzzz »

Mon frère se tourne sur le côté et ronfle, la bouche ouverte, laissant sûrement couler un énorme filet de bave sur son coussin. Je me lève doucement, et je m’arrime à la fenêtre. Je passe une main sur les rideaux épais qui m’entourent. La lune est pleine cette nuit. Dehors il y a encore du monde qui se promène. Vu la chaleur éprouvante en journée, rien d’étonnant à ce qu’ils se rafraîchissent au passage d’un zéphyr un peu capricieux. J’ouvre le balcon sans trop faire de bruit et m’y assied, appuyant mon dos contre le mur.

Mon dos qui n’est pas endolori, mais qui en porte les marques indélébiles.


Dernière édition par Esemtis le Mar 20 Avr - 2:53, édité 1 fois
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Message par Esemtis Mar 20 Avr - 2:49

« Esemtis, veuillez ranger ce tome aussi. »

Voilà près de trois heures que nous rangeons sa bibliothèque personnelle après une matinée bien éprouvante à l’étude d’un sortilège complexe. Tous ces livres me donnent le tournis. Il y en a tellement, et de toutes sortes, vraiment pas de quoi en rougir comparé à la bibliothèque de la ville.

« C’est fait Maître. »
« Parfait, descendez de là. Je pense que je vais vous libérer, j’ai fort à faire aujourd’hui. »
« Soit, Maître. »


Je m’empresse de ranger le petit escabeau à sa place habituelle, puis je m’incline devant un mentor qui vient de s’affaler dans un fauteuil cossu aux ornements dorés.

« De ce fait, voyez-vous le petit panier près de la porte ? »
« Oui Maître… Voulez-vous que je vous l'ammène? »
« Non. Vous allez le prendre. Son contenu est à vous. J’estime que vous pouvez passer vos soirées à avoir quelques loisirs intéressants, n’est-il pas merveilleux que je pense à vous, cher apprenti ? »


Il tapota une pipe en bois noircit contre le rebord d’un cendrier, vidant le tabac brûlé.

« Assurément Maître, mais vous savez… »
« Oui, oui. Je n’ai pas à me mêler de votre vie privée. Mais vous trouverez cela captivant, jeune homme. Je suis sûr que vous apprécierez. »


Il leva une main me désignant l’endroit.

« Ne tardez pas, je dois recevoir sous peu. Passez une excellente fin de journée. »
« Vous aussi Maître, et… merci à vous. »
« Pensez-vous ! A demain, jeune Esemtis. »


Panier en main, le valet m’accompagne jusqu’à la porte, d’un faux sourire amical.
Quel benêt celui-là, si je le pouvais je l’aurais renvoyé depuis bien longtemps.
Mais bon, Zardeth fait ce qu’il veut de lui après tout.

Ruelle après ruelle, je me demande ce qu’il peu bien y avoir là dedans. Je regarde l’osier recouvert. C’est assez lourd. Serait-ce un objet d’étude que je dois examiner ? Ou peut-être des tonnes de livres barbants ? Non, du linge et des chausses neuves. Zardeth est un peu trop prévenant avec moi.

Je suis assez intrigué, je l’avoue.
A peine arrivé, je ne salue même pas l’aubergiste, et enfile les marches des escaliers trois par trois, en soulevant ma robe de la main gauche pour ne pas la craquer. J’ouvre la porte de la chambre, et ferme à double tour une fois à l’intérieur.
Le frangin n’est pas encore là et il rentrera tard encore.

Je pose avec précaution le panier sur le lit, et le découvre de son étoffe.
Des outils !
Des pinces… un petit marteau… il est presque minuscule… un monocle de vue… des fils de cuivre en bobine, et quelques gemmes dans un petit sachet en soie brodé d’entrelacs… une petite trousse recouverte de velours pourpre… qu’est-ce qu’il y a d’autre là dedans ?

Je farfouille encore, et trouve une petite note au fond.
Je l’ouvre et la lit à voix haute.


« Cher Disciple,
Voici un petit cadeau qui vous aidera à passer vos heures d’ennui en quelque chose de plus ludique. Il s’agit d’un kit de joaillerie. Un véritable passe temps avec lequel on risque de tout oublier tellement il est prenant.
En espérant qu’il vous plaira,
Bien cordialement. »


Le parchemin n’est pas signé. Tient, Zardeth ne signe jamais ses lettres ? Bizarre.
Je regarde l’attirail répandu sur le lit. Pourquoi pas après tout… je répartirais mes envies entre l’étude des symboles sur mon carnet, et la création de petites babioles.

Je retire les pierres précieuses finement taillées du sac. Elles sont d’une pureté incroyable : limpides sur chacune de leurs facettes, aucun défaut d’apparent quelle que soit la façon dont on les tourne à la lueur du jour… je les malaxe entre mes doigts, et étire mes lèvres en un semblant de sourire…

« Merci, Maître. »

Décidemment, je ne comprends pas pourquoi Aleranis le déteste, et se moque de lui.
Je suis déjà en train d’arranger mon bureau pour avoir un espace de travail convenable. Un "passe temps"… si cela peu m’éviter de penser et de cauchemarder…
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Message par Esemtis Lun 3 Mai - 21:40

Dans l’ombre la plus totale de la nuit. Les volets sont fermés. Aleranis n’est pas rentré apparemment. Je monte les escaliers en catimini, après avoir salué l’aubergiste. Une fois en haut je me poste devant la porte.
Je cherche ma clé dans la sacoche.
J’entends des bruits… des bruits étouffés. On croirait des voix…
Je n’en suis pas sûr…

Je m’appuie contre le montant de la porte, la clé en main.
Elle s’entre ouvre toute seule mais ne grince pas.
Les voix se font plus précises… des soupirs… des gémissements.
Des gémissements que je ne connais pas, on ne penserait pas à quelqu’un qui souffre en prêtant l’oreille.

Soudain, j’ai un mouvement de recul sur le palier.
Au bout d’un moment la paralysie m’abandonne, et je m’adosse au mur derrière moi.
Je crois rêver. J’entends bien un souffle rauque, celui de mon frère… mais il y a quelqu’un d’autre avec lui.

Une fille…

Une sensation de dégoût me monte dans la gorge.
Je descends le plus silencieusement possible.
Qu’il se débrouille si elle vient le pleurer en lui annonçant qu’il est le père d’un enfant quelques mois plus tard. Je ne veux rien savoir.

L’aubergiste me voit m’asseoir, pâle comme du lait.
Il pose devant moi une assiette de viande séchée, une tranche de pain, et un verre de bourbon. Je le remercie d’un léger mouvement de tête, mais je repousse l’assiette avant de m’emparer de la boisson.

Je bois d’un trait. Je suis si fatigué… je voudrais dormir… juste me reposer…
Je n’aurais pas cru que mon frère me ferait cet affront d’amener quelqu’un là haut.
Les seuls mots qui me viennent quand à son comportement, ne sont pas des choses que je pourrais énumérer de vive voix.

Il mériterait que je le laisse seul : il veut faire sa vie ? Grand bien lui fasse ! Ce sera sans compter sur moi ! Quelle plaie… ce n’était pas le moment…

Je suis con des fois. Après tout on est plus des enfants… c’est lui qui a raison.
Il devient autonome, un homme.

Soudain, une pensée effleure mon esprit : et si je m’installais seul ?
Plus de problème pour aller dormir… plus de problème de place… plus de disputes si je laisse traîner des écrits, des expériences, ou des gemmes sur le bureau… plus de tranquillité qu’il n’en faut…

Je demande à l’aubergiste s’il a une autre chambre de libre.
De toute façon je peux me la payer.
Il me répond qu’il n’en a pas, à son regret. Tant pis, je demanderais à Zardeth de m’héberger en échange de loyaux services : je suis sûr qu’il ne pourra pas refuser.
Et puis je me suis habitué à l’Agneau Assassiné.

Je détache mon opuscule, et y laisse quelques lignes qui vagabondaient dans ma tête. J'ai du charbon sur les doigts... tant pis... je m’affale vers l’avant. Mes paupières lourdes ne tardent pas à s’ouvrir et à se refermer. L’état de somnolence dans lequel je plonge s’achève rapidement, me laissant tout ronflant sur la table. L’aubergiste m’apporte une couverture pour la poser sur mes épaules. Visiblement, ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’un de ses clients s’endort dans la salle principale.

Avant de partir il regarde l'écriture, et lit rapidement.

« C’est dans l’ombre d’un sourire,
Que se cachent mes peines,
Comme si souffrir,
Faisait partie de mon être.

Briser les larmes,
Essuyer le silence,
Corrompre le charme,
De ma solitude affligeante.

C’est dans un léger soupir,
Que s’achèvent mes joies,
Comme si je laissais noircir,
Ce que me dictent mon cœur et ma foi.

Briser la lame,
Essuyer la violence,
Voici donc mon âme,
Ta détresse permanente.

C’est dans les bons et rares souvenirs,
Que s’apaise ma haine,
Comme si m’y enfouir,
Donne un regain à ma volonté faible.

Briser le silence,
Essuyer mes larmes,
Fini cette violence,
Paisible mon âme. »


Le tenancier ferme le carnet, et s’éloigne d’un air nostalgique.
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Message par Esemtis Mar 4 Mai - 1:35

« Le jeune Esemtis est arrivé, Messire. Il patiente dans le vestibule. Dois-je l’informer qu’il est l’heure ? »
« Oui, faites. Est-ce qu’il a bu le petit vin de « bienvenue »? »
« Oui Messire, d’une traite. »
« Parfait, conduisez-le comme les autres novices, je vous prie. »
« Bien, Messire. »
« Oh, et si vous voyez qu’il s’effondre, vous savez quoi faire… »


Le valet revint me chercher en me demandant de bien vouloir le suivre.
Mes mains semblaient devenir moites sous mes gants, et je sentais mes jambes trembler à chacun de mes pas.
Serait-ce de la peur ?
Je me suis tellement préparé pour ce jour… je devrais la contourner et la capturer.
En faire une arme redoutable et m’en servir.

Le couloir éclairé par des torches se fit de plus en plus sombre. Le sol était recouvert de vastes tapis, qui n’avaient pas été nettoyés depuis un petit bout de temps. La poussière et des petits gravats de la pierre calcaire dans lequel les murs avaient été construits les recouvraient sur les côtés. Un frisson parcouru mon dos; plus on avançait plus il faisait froid.

Au bout, une porte en bois massif recouverte de vernis s’ouvrit sous la poignée que mon guide venait de tourner. Elle émit un grincement et laissa pour vue un escalier aux marches étroites, en colimaçon.

« A partir d’ici, vous serez seul. N’oubliez pas de refermer la porte derrière-vous. »

Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il s’éloignait, rebroussant chemin, comme si rester près de là où je me tenais le révulsait. Sans trop savoir ce qui m’attendait, je franchis le seuil, et m’engouffra dans le noir absolu, claquant la porte, ce qui me rappela que lorsque j’étais nerveux je tendais à être maladroit.

Le bruit se répercuta sourdement.
Ne voyant rien du tout, je me fiais à mes pieds. Je sentais que j’entamais une descente presque infinie, plus j’avançais et plus il y avait de marches. Soudain, je perdis le contrôle. Mon pied fendit l’air, ne trouvant aucun appui. Ne pouvant me rattraper à rien, je tombais vers l’avant en hurlant.

Le vide.
Un tourbillon éternel où l’on ne peu jamais en sortir.
Ne pouvant plus m’opposer corporellement à cet infâme abysse, je me remémorais alors les chaînes qui me liaient à ma petite vie. Mais au lieu d’en défaire les maillons, je les protégeais d’avantage, les soudait entre eux bien plus qu’à la normale. Il fallait me rendre à l’évidence : je ne voulais pas mourir.


Dernière édition par Esemtis le Mar 4 Mai - 1:41, édité 1 fois
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Message par Esemtis Mar 4 Mai - 1:40

Une inspiration.
De la poussière envahit mes narines, et je m’éveillais en toussotant.
L’endroit n’était autre qu’une salle fermée, mal éclairée. Le sol d’ébène était poussiéreux, et le plafond finissait dans les ténèbres de colonnes de marbre blanc gigantesques.

La pièce baignait ainsi entre l’ombre et la lumière provoquée par des bougies parsemées aux pieds de chacun des piliers. Jamais je n’étais venu ici. C’était la première fois, mais tout me semblait familier. Des pétales d’hibiscus sanguin tombèrent du plafond noir à travers la galerie, recouvrant mes épaules, et mes cheveux.

Puis, je vis un mouvement, dans l’ombre d’une colonne. Quelque chose ou quelqu’un était là. En me concentrant d’avantage, je remarquais une présence. Comment avais-je pu l’ignorer? Elle devait être là depuis mon arrivée. Mais depuis combien de temps suis-je ici ? La notion des heures m’échappait déjà… c’est à croire que je ne pouvais rien contrôler, et encore moins ce qui m’arrivait.

Un autre déplacement.
Elle est là, elle se languit sûrement de me faire souffrir. Peut-être suis-je ici pour affronter un monstre… si seulement mon mentor n’avait pas voulu rester dans la confidence… je saurais à quoi j’ai affaire. De toute façon je n’ai pas le choix. Si cette chose en veut après moi, il faudra bien que je me défende. Je jetais un coup d’œil à ma robe : mon opuscule sur ma hanche gauche, ma petite sacoche fourre-tout à côté, et… mon incapacité à me concentrer !
Foutue trouille !

Il ne faut pas que je doute de moi, ce n’est pas le moment… arrête de penser à ce qui pourrait t’arriver. Vas-y, fait ce que tu as à faire! Bah ! Foutaises… je finirais à la broche!

Me tourmentant encore, je percevais néanmoins les mouvances de ce mystérieux être qui s’évertuait à se cacher. Tout devenait de plus en plus oppressant et je sentais mon cœur bondir dans ma poitrine. Une brise capricieuse vint remuer mes cheveux, les laissant retomber sur mon visage maigre. Je me tournais dans toutes les directions afin de savoir d’où cela pouvait provenir, en vain.

C’est alors que j’entendis un souffle. Depuis un recoin, une silhouette noire s’approchait à pas nonchalants vers là où je me tenais. La respiration se fit de plus en plus forte, et je pouvais déceler un regard macabre presque immuable. Le froid qui glaçait mon dos devint un feu, qui éveillait en moi la nécessité de voir à quoi ressemblait cet adversaire si mystique et si malfaisant.

La forme se fit plus grande, arrivant à ma hauteur. Sur le sol, l’ombre s’avançait au-devant de la silhouette, comme si elle n’était qu’une prolongation. A l’orée de deux colonnes, face à moi, la créature s’immobilisa. Je plissais les yeux pour mieux l’entrevoir.

Il devait s’agir d’un homme, un homme vêtu d’une tunique longue.
Mais je ne pouvais rien discerner d’autre à travers l’obscurité qui l’entourait.
Un geste. Il venait de lever une main, comme pour désigner les lieux, puis la rabaissa avec une lenteur déconcertante.

Soudain, contre toute attente, l’écho d’un murmure sinistre m’enveloppa. Mon corps se crispa tout seul. Quelque chose me déchirait : je ressentais comme une intrusion provenant de chaque parcelle de ce que deviendrait ma dépouille si cela persistait.

Puis, je me figeais. L’obscur s’avança de quelques pas. Il me contrôlait totalement. Je sentais son esprit revêche franchissant la barrière que j’avais tissée afin de préserver le mien de toute attaque. Tel un usurpateur curieux, ses tentacules s’accrochaient aux parois de la porte de mon donjon mental. Il ne faut pas, non, il ne faut pas… je dois… tenir…

Mes yeux larmoyèrent de douleur.
Une douleur que je n’avais jamais connue auparavant.

L’entrée de mon temple sacré venait d’être souillée.
Le cauchemar avança, s’immisçant posément à travers les dédales qui menaient à l’autel de ma risible existence. Tout à coup il s’arrêta, comme coupé net dans son élan. Il y avait quelque chose ici, quelque chose de dérangeant… quelque chose qu’il semblait déjà connaître, et que je connaissais.
Il resta là, attendant un évènement.

Une voix retentit, et l’étreinte malsaine s’intensifia : une de mes larmes tomba lourdement au sol. Je savais à qui elle appartenait. Je savais désormais qui je devais affronter.

« L’épreuve n’est autre que toi contre moi. Moi contre toi. »

Je pouvais à peine respirer, mais comme s’il avait deviné, il relâcha mes mâchoires, et je pu distinctement parler, entendant mon propre son résonner dans ce lieu qui n’était autre que mon intérieur.

« Cela reviendrait à ne plus être. Ni l’un ni l’autre. »

Durant un instant, je pensais avoir berné mon double, mais il en fût tout autrement.

« Renonces à tes rêves et fais don de tes chaînes à la mort. »

Le mal piquait mon front, comme si l’on venait de me percer le crâne avec une lance à l’embout effilé.

« Devons-nous vraiment en arriver là ? »

Le silence soudain me laissait perplexe, mais pas pour très longtemps.

« Il ne tient qu’à toi d’en décider. Cependant tes agissements seront irréversibles, et sache que si je viens à mourir, une partie de toi périra également, car nous ne sommes qu’un. »
« Alors il n’y a aucune espérance ? »
« Les choses doivent changer. Ne souhaitais-tu pas cela ? »
« Pas de cette façon… »
« Rien n’est jamais comme on le voudrait. Ne l’a tu pas appris à tes dépends ? »
« Tu en connais la réponse autant que moi. »
« Tu ne me laisses pas le choix, alors je vais prendre ce que tu es. »

Soudainement, la silhouette sortit de l’ombre.
Esemtis hoqueta en voyant l’horreur qui allait l’atteindre au cœur, la main tendue vers lui. L’afflicteur n’était autre qu’une noirceur aux yeux humains.
Ses yeux ! Ses propres yeux !
Le regard brisé de ses tourments pénétra au plus profond du sien, laissant croître le passage vers le reposoir ultime de sa destinée.

Soudain, une colonne se fendit en deux, se désagrégeant rapidement.
La main brumeuse atteignait déjà le tissu, le griffant pour s’y introduire de façon sinueuse. C’est alors qu’une autre colonne s’écroula de tout son long cette fois, sur le sol lisse d’ébène de la salle, dans un fracas tumultueux.

L’âme noire tenta de s’accrocher à son adversaire. Esemtis vit défiler tout ce qu’il avait vécu jusqu’à cet instant. L’insondable toucha la chair et y plongea ses ongles. Le jeune homme constata avec effroi que son opposant menaçait de broyer sa vigueur.

Le voilé semblait si accaparé par cet effort que cela lui fit omettre qu’une chose argenté parcourait déjà son corps ombreux. Une chaîne s’enroula rapidement autour de son bras tendu, serrant la menace qui allait venir à ses fins. Lorsqu’il se rendit compte que le jeune néantin lui avait conféré tout ce qui pesait sur son entité, un hurlement aigu éclata dans le sanctuaire.

Esemtis ferma les yeux et serra à son tour l’étreinte qui les unissait. En grimaçant, et la retirant de toutes ses forces, il vociféra l’incantation de l’absorption des âmes. Les yeux mélancoliques de sa proie qui se débattait à présent, tel un poisson que l’on privait d’eau, ne purent que miroiter le désarroi de ce qui l’attendait : A défaut de la détruire, il l’emprisonnait… éternellement.

De cette main, jaillit une sphère violacée qui s’étendit sur son rival le plus improbable qui lui eu été donné de combattre. La forme se tordit, se déchirant de son enveloppe visible. Soudain, une nébulosité noire s’échappa vers le jeune néantin, qui ne tarda pas à absorber et à ressentir une puissance incommensurable l’envahir. L’âme qui frôlait la sienne reculait à présent, sortant de l’édifice, se laissant aspirer sans réserve par l’esprit qu’elle avait voulu habiter et chasser.

Soudain, Esemtis roula des yeux.
Les liens ne serraient plus rien, et tombèrent dans un tintement infernal à ses pieds, avant de s’enrouler de nouveau autour de lui. Alors qu’il semblait s’étourdir, les colonnes anéanties se reformèrent d’elles-mêmes. Les lieux se retrouvèrent tel et comme il les avait connu avant l’affrontement : tout était redevenu paisible, comme si rien n’avait jamais déparé à la beauté du temple.

Il reprit son souffle, mais il tangua, se sentant se dérober à ce qu’il venait de subir.
L’air devint lourd, ses jambes également. Il tomba à genoux, et s’étala sur le dos, soulevant quelques pétales d’hibiscus dans sa chute. Les battements de son cœur ralentirent considérablement.

« Je suis le maître de mon destin, et le… resterais...»

Les mots retentirent tandis que les ténèbres l’engloutissaient à nouveau.
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Message par Esemtis Mar 4 Mai - 1:46

« Quand va-t-il se réveiller ? »
« Lorsque son esprit le décidera. »
« J’espère que vous vous rendez compte que cette épreuve est bien trop difficile pour lui. »


Aleranis regarda hautainement Zardeth.

« Je sais ce que vous pensez, Aleranis, mais n’ayez crainte. Votre frère a toujours eu une volonté grandissante. Nous sommes tous passés par cette étape, et nous y avons tous survécu. La purification de l’âme est nécessaire pour atteindre un degré supérieur à l’initiation, vous le savez.»
« Je sais mais c’est mon petit frère. Je me fais beaucoup de souci pour lui. »
« Oui, bien entendu, c’est compréhensible, mais il devient un homme. Ce n’est plus le petit garçon que vous avez pu connaître autrefois. »


A travers la fenêtre, le soleil déclinait lentement. Aleranis se tourna vers le mentor le plus détestable que l’on puisse avoir, qui reprenait la parole.

« Rassurez-vous. La sienne n’est en rien comparable à la vôtre. »
« Vous m’en voyez ravi. »
« De ce fait, la blessure que vous m’avez laissée a tardé à guérir. Mais je ne vous en veux pas. A ce propos, vos affaires se portent bien ? »
« Je compte bien à ce qu’Esemtis me donne un coup de main. Le travail ne manque pas, surtout lorsqu’il faut battre le feu par le feu.»
« Je vois. Ne lui forcez pas trop la main, il se complait à son autonomie. Votre père était pareil. »
« Vous ne m’apprenez rien. Mais je suis sûr qu’offrir ses services lui plairait. »
« Sans nul doute. Bien, vous m’excuserez, mais je dois vous laisser. Le devoir n’attend pas. »
« Encore des adeptes à torturer, ou quelques novices à intégrer dans vos sectes ?»
« Non… non. Pas cette fois, mais la proposition tient toujours pour vous deux. »
« Vous savez ce que j’en pense, et Esemtis vous répondra à l’identique. »


Zardeth lui décocha un sourire enjôleur avant de quitter le petit salon richement décoré. Aleranis grimaça, et se tourna à nouveau vers la fenêtre. Zardeth ne manquait pas de culot, à toujours rabrouer « tel père, tel fils », ou à énoncer ses méfaits. Il fronça ses sourcils, tout en pensant à la gentillesse qui émanait de son frère, ses yeux hagards… Jamais Esemtis ne serait comme leur géniteur… ni même comme lui.

Toutes ses inquiétudes se tendaient vers lui qui dormait à poing fermé dans la chambre d’à côté : s’il avait subit plus qu’il ne l’espérait, il s’en voudrait indéfiniment de l’avoir entraîné là-dedans, et surtout de lui avoir mentit pour la fin tragique de leurs parents.

Peut-être lui contera-t-il la vérité un jour… peut-être à son réveil…

Le soleil s’abaissa pour de bon. Au loin, une ligne orangée marquait la fin de la journée. Aleranis s’affala finalement sur un fauteuil, dans une attente interminable.
Esemtis
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Message par Esemtis Mar 4 Mai - 2:08

Cloîtré, de nouveau.
Mais pas parce qu’on m’y oblige.
En fait, si.
Je m’y oblige.

Ce souvenir horripilant hante mes nuits et chacune de mes pensées. J’ai tenté de me replonger dans l’étude des glyphes, et de lire des ouvrages empruntés à la bibliothèque d’Hurlevent. Rien à y faire : je n’arrive pas à me concentrer quel qu’en soit le contenu.

Je doute pouvoir oublier. Après tout, nous n’oublions rien, nous ne faisons que repousser au fond de nous-même ce que nous redoutons le plus. Aleranis me demande constamment comment je me porte, et je ne fais que de lui répondre de la même façon monotone : « Oui, je vais bien. ».

Si j’avais su, je n’y serais pas allé ce jour là. Pas en sachant…
Je rabats les draps contre moi lorsque l’on frappe à la porte. Il a encore oublié de me dire quelque chose je parie… Je me lève pour ouvrir. Je suis à peine habillé… une chemise et un pantalon…tout décoiffé.

La femme de chambre.
Zut.
Je la fait entrer sans même la regarder, et m’attable pour faire semblant d’être occupé. Je m’attelle à retranscrire un livre sur un parchemin. En attendant, elle range, nettoie, et change les draps de lit en m’observant d’un regard lourd, presque poignant.

Elle a bientôt fini, je crois, car elle roule en boule le linge sale, et le met sous son bras avant de passer le seuil.

« Loin de moi de vous « zieuter », mais votre chemise est défaite. Bonne journée Messire. »

La porte se referme doucement.
Ne sachant comment réagir à ses propos, je jette immédiatement un coup d’œil aux lanières pour les nouer. Je suis un idiot de ne pas avoir fait attention. Je crois que mes joues virent au pourpre. Qu’a-t-elle du penser de moi en me voyant seul dans cette chambre sordide en pleine journée?

Si seulement j’avais des gens sur qui compter, quelqu’un à qui me confier… j’aurais aimé avoir des amis moi aussi. Savoir ce que sont les joies et les peines à partager, les moments courts qui deviendront les souvenirs de toute une vie, ceux qui nous hantent et nous font parfois sourire ou pleurer lorsque notre regard se perd dans le vide.

Peut-être qu’un jour ça m’arrivera…pourquoi pas après tout…
Je ne vais pas toujours pouvoir tout éviter. Ce n’est pas une solution… non.

Finalement, je m’habille, et décide de passer la porte, un livre à la main.
Je vais aller au lac. Peut-être que la sérénité des lieux m’aidera à étudier… ce serait idiot de rendre ces livres sans en avoir lu au moins une partie.

Il fait beau dehors, et doux.
Je verrais bien…
Esemtis
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