[Territoire du Lion] Vie de caserne

Aurys se retournait encore et encore dans la couche étroite qu'on avait daigné lui octroyer. Non pas que les quartiers réservés à l'Ost étaient indignes, loin de là : propres et spacieux, ils avaient tout pour bien accueillir des soldats en campagne. Mais ces lit superposés en rang d'oignons, cette promiscuité avec les hommes de troupes, les chuchotis de ses soldats qui devisaient de leurs grosses voix endormis sur ce qui les attendrait le lendemain... Tout ceci ne prêtait guère au sommeil.

Au bout d'un moment, elle se leva. Aussitôt, le silence se fit et, comme des enfants ne voulant pas être surpris par leur mère, les soldats se turent, enfouis sous leurs draps, attendant que la Connétabe s'éloigne d'eux. Elle passa un châle sur sa tunique puis sortit sans un mot, épuisée mais incapable de trouver le sommeil pour le moment.

La nuit était bien avancée, mais le Territoire du Lion brûlait encore d'une activité certaine. Du port montaient les voix des portefaix qui déchargaient les marchandises qui arrivaient en flot continu de Hurlevent. Des armes, de la nourriture, de l'équipement. La guerre n'en était qu'à ses débuts. Dans le ciel, des griffons assuraient la maitrise aérienne du périmètre, en poussant parfois de petits cris suraigus qui devaient laisser transparaître leur inconfort dans ce nouvel environnement. Il fallait dire que Krasarang n'avait rien d'une sinécure : la région était humide, moite, chaude, propice aux maladies en tous genres. Aurys et les siens n'avaient, pour le moment, que visité les environs immédiats du Territoire du Lion : bientôt, il leur faudrait découvrir la jungle elle-même, et y combattre la Horde au milieu de bêtes féroces, les pieds dans la boue. Le bonheur.

Frissonnant en dépit de la chaleur, elle gravit les escaliers pour atteindre les remparts. Comme elle en avait pris l'habitude dans sa chère Garnison, elle s'installa sur un créneau, laissant son regard vagabonder au loin. Combien de temps serait-elle contrainte de faire la guerre ici, alors que tant de choses requerraient son attention à des milliers de lieues de là, dans sa propre patrie laissée à l'abandon ? L'Alliance avait requis son aide, et elle ne pouvait se défaire de cet engagement. MAis elle espérait de tout coeur qu'aucun de ses hommes ne perde la vie sur ces rivages lointains.

C'est avec cette aspiration en tête qu'elle déboucha la flasque qu'elle gardait toujours près d'elle, avant d'en avaler une goulée bienfaisante. D'une manière ou d'une autre, il faudrait bien qu'elle dorme un peu.

- Tu fais tourner ?

Une voix cassée et grave l'interpella dans son dos.
Fenice, l'encapuchonnée, était assise sur un des crénaux. Le cuir noir de sa tenue comme sa cape sombre, la faisait se fondre parfaitement dans l'obscurité de la nuit. Seule un sourire carnassier se découpait sur cette tache d'huile noire.
Aurys de Nor Laedro savait pertinemment qui se cachait sous ces oripeaux, mais il était convenu depuis longtemps que ni l'une ni l'autre ne l'évoquerait quand "Fenice" était de la partie.

- Alors, Princesse, pourquoi venir s'mouiller les miches sur c't'ile ? S'courire les pandas fera pas diminuer l'nombre de réprouvés sur le sol de la bonne vieille Lordaeron. J'crois peu en l'effet papillon...

Fenice sortit une pipe de nulle part et se mit à tirer avidement quelques bouffées de tabac âcres dessus.

- La purge de Dalaran est pour bientôt... ça fout les chocottes à mes rares infiltrés. J'sais pas où on va, mais on y va. Si jamais ça s'confirme ça risque de créer du remous dans les rangs d'la horde. J'aim'rais pas que La Catin des Catacombes profite de la fête pour se créer une nouvelle position, tu vois ?

Surprise, Aurys cacha instinctivement la flasque, avant de découvrir "Fenice". Quand était-elle arrivée au Territoire du Lion, celle-là ? En tous les cas, elle s'était débrouillée pour éviter la partie désagréable, comme elle savait si bien le faire.

Vous vous doutez bien pour quelles raisons je suis là, lâcha-t-elle après avoir hésité à retourner se coucher. Ce n'est pas pour les beaux yeux des autochtones. Ni pour les paysages.

Elle montra du doigt la région environnante, comme pour l'accuser de quelque méfait. Il fallait dire que Krasarang n'invitait pas au voyage : mélange savant de jungles dangereuses et de marécages grands pourvoyeurs de fièvres malignes, l'endroit avait tout pour plaire, jusqu'à ces pluies moites qui, pour le moment du moins, avaient pris leur pause.

L'Alliance est persuadée que frapper un grand coup ici pourrait donner un avantage décisif dans la guerre générale qui s'annonce contre la Horde. J'ai toujours pensé que nous devions plutôt travailler à isoler les réprouvés de leurs alliés pour les affronter séparément, et laisser Kalimdor aux orcs, aux trolls et aux taurens. Apparemment, ce ne sera pas aussi simple. Nous allons vers un conflit généralisé, et si nous ne participons pas aux premiers feux, nous ne pèserons rien sur les stratégies à venir. Or, nul doute que la guerre passera, à un moment ou à un autre, par le Nord. Le roi Varian est un guerrier : il saura se souvenir de ceux qui ont répondu présents à son appel.

Aurys scruta les ombres pour apercevoir la tour où résidait le souverain.

Le tout sera de tirer de cette aventure le maximum d'intérêt pour notre cause, en en payant le prix le plus bas. Le talent de chacun sera mis à rude épreuve.

Fenice n'aurait pas droit à la "flasque de l'amitié" ce soir. Ceci allait de paire avec la désaffection croissante de la Connétable à son endroit... et envers la flamboyante Baronne de Sangre.

- C't'une stratégie comme une autre. Ceci étant la Catin semble un peu avoir la même !Pour l'moment elle se la joue sbire discrète et laisse Garrosh tirer sur la couverture pour l'avoir rien qu'à lui. C’est histoire de mieux poignarder les peaux vertes une fois qu'la folie guerrière de leur leader les aura pleinement coupés de tout alliés. Et crois-moi, Princesse, Garrosh est sur une pente bien glissante en ce moment. Les bruits courent qu'il fricotte avec les forces obscures de ce foutu lopin d'terre.

Fenice expira plusieurs rond de fumés :

- Y'a d'forte chance que not' pute soit en première ligne pour reprendre les rênes de la Horde si jamais mes prédictions s'avèrent vraies. On fera quoi, nous, alors ?