Chroniques d'une Croisée : la voie du Protecteur

L'orbe s'était mis à briller dans mon sac. D'une lueur violacée, intense. Il m'a fallu du temps pour comprendre lorsque je l'ai pris en main et observé avec attention. C'était bien l'orbe de défense universelle que je tenais entre mes doigts. Et un peu partout dans la Halle des Mages, la rumeur se répandait comme une trainée de poudre gobeline.

"Vous êtes au courant ? Il paraît que Darnassus est attaquée !
- Il faut dépêcher des troupes pour sa défense, et vite ! Faites passer le message par le biais du Concordat Argenté !
- Bah. J'en ai rrrien à fairrre ! Jamais pu blairrrer les Elfes. C'est eux qui ont ébrrranlé tout Azerrroth avec leurs saloperrries arrrcaniques aprrrès tout !"

D'une oreille attentive, j'écoutais la conversation qui se tenait auprès de moi entre trois marchands. Et entre mes doigts, l'orbe ne cessait de briller.

Darnassus... Malgré l'amitié entre nos deux peuples, je ne m'y étais jamais réellement intéressée. J'y avais fait des passages quelques fois, quand l'utilité s'en faisait sentir... sans plus. Pourtant, nos peuples étaient alliés, et amis.

Peut-être était-ce l'occasion d'agir en digne combattante d'Exodar, et d'honorer cette amitié.

Enfourchant mon destrier d'argent, je me dirigeais au trot -il ne faudrait pas risquer de blesser quelques badauds- vers l'Enclave Argentée où je me précipitais dans le portail à destination du Temple de la Lune.

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Ma vision était encore trouble. La traversée de ces portails prodigue toujours ce genre d'effets, après tout. Les mages appellent ça un "temps de chargement", allez savoir pourquoi.

Mais déjà, à mes oreilles, le tumulte de la bataille était très présent. Les cris de guerre des Sentinelles, les cordes des arcs qui chantaient, et le bruit de l'acier qui s'entrechoquait. Mes doigts se refermaient autour de la poignée de mon épée, tandis que je détachais mon bouclier dans mon dos. Puis dans un cri dans ma langue natale, je m'élançais à mon tour dans la mêlée. Parmi les combattants de la Horde, je distinguais un ours -manifestement un druide- qui s'en prenait à la Grande Prêtresse. Il serait ma cible principale...

D'un coup de bouclier, je tentais d'écarter un mage qui me barrait le passage. Mais je me heurtais à une barrière de givre et me retrouvais à reculer de plusieurs pas suite à l'impact. Il m'adressa un regard que j'eus du mal à interpréter, avant d'enchainer un torrent arcanique me condamnant au silence pour quelques instants, et une nova de givre. Mais dès l'instant où j'eus retrouvé l'usage de ma voix, ma main effleura le lourd libram qui pendait à ma ceinture et dans un mot de pouvoir, je recevais la protection de la Main de Liberté. Le givre qui me bloquait les jambes fut instantanément dissipé, et le sorcier esquiva de peu le bouclier du vengeur que je lançais vers lui. Il se rendit compte bien tard que c'était l'ours, que je visais.

Dans ma lancée, je lançais une bénédiction des rois sur la Grande Prêtresse, tout en faisant appel au Don des Naaru sur sa personne. Elle m'adressa un bref regard, tandis que je prenais le relais et m'interposais entre elle et l'ours. Les Sentinelles affluaient également. Et d'autres défenseurs. Guerriers, chevaliers de la mort. Tyrande Murmevent semblait soulagée. Surtout quand, rengainant mon épée, et ouvrant mon libram, j'invoquais le marteau du courroux et le projetais sur le druide qui tentait de prendre la fuite avant de s'effondrer de tout son long.

C'est alors que l'air rieur, lançant des félicitations aux combattants encore debout, l'un des guerriers venu en soutien planta un drapeau dans le cadavre du tauren. Détournant le regard, replaçant mon bouclier dans mon dos, je m'approchais de la Grande Prêtresse d'un pas lent et régulier.

"Tout va bien, Dame Tyrande ?
- Ca va aller, oui... quelques blessures à panser, mais vous m'avez évité le pire. Merci, paladine.
- Permettez..."

Sortant de mon sac un libram de guérisseur que j'utilisais assez peu, je le parcourais rapidement puis, le bras tendu, la paume de la main dirigée vers la Grande Prêtresse, j'invoquais la lumière sacrée pour effacer ses plaies. Elle semblait étonnée. Elle eut même un mouvement de recul. Je ne pouvais que sourire face à cette attitude, soufflant quelques mots :

"Je suis une Protectrice. Une Gardienne. Les coups que vous avez pris, que je n'ai pu vous épargner, sont pour moi autant d'échecs."

Je la fixais droit dans les yeux. Mon sérieux ne faisait plus aucun doute.

"Laissez-moi faire. C'est une maigre façon de me faire pardonner les failles de ma défense."

Autour de nous, quelques prêtresses nous observaient, pansant les plaies des autres combattants.

"Je ferai mieux la prochaine fois. C'est un engagement que je prends sur mon honneur."

Ces mots la firent sourciller, je crois. Ayant achevé de soigner la meneuse des elfes de la nuit, je refermais mon libram.

"Votre peuple et le mien ont beau être amis, rien ne vous obligeait à venir combattre ici..."

D'un mouvement de la tête, elle indiqua mon tabard. Le tabard des Croisés d'Argent.

"Je sais les combats que vous menez. Ils sont d'une toute autre importance."

Je restais silencieuse. Ses paroles me troublaient. M'étais-je écartée de ma voie ? Venir ici, prendre part à un combat au nom de l'Alliance plutôt que d'agir en Croisée, neutre et impartiale. N'était-ce pas la curiosité, qui m'avait guidée ici, au final ? Le désir de connaitre ceux qui avaient accueilli les miens et les avaient guidés vers ceux que nous étions venus chercher ?

Je détournais le regard un instant. Je ne savais quoi répondre.

"La vie de chacun a son importance. Surtout celle de quelqu'un comme vous, Dame Tyrande."

Je sursautais presque. Je percevais dans ces paroles l'accent de l'une des représentantes de mon peuple. Faisant volte-face, je me retrouvais presque nez à nez avec une Draeneï que j'avais déjà vu discourir longuement avec Jol, ma sœur d'adoption. Rukua, maîtresse paladine détachée à l'entrainement des aspirants paladins qui avaient fait le choix de venir directement en aide au peuple de Teldrassil au sein même de son domaine.

"Vous êtes un pilier. Vous représentez un espoir particulièrement grand pour tout votre peuple. Et pour le notre aussi, d'une certaine façon."

Rukua m'adressa un sourire. Nous avions eu l'occasion d'échanger quelques mots, du temps de mon entrainement en Exodar. Et elle m'avait reconnue, je crois. Du moins, j'en eus rapidement la confirmation.

"Je pense que ma consœur Solya a fait le bon choix en venant à votre secours. Et que d'une certaine façon, c'est dans la continuité de sa mission, de ses engagements. Après tout, le peuple kaldoreï fournit une part non négligeable de combattants à la Croisade d'Argent pour la lutte en Norfendre, non ? La Croisade aurait été affaiblie par votre perte, par le biais d'un affaiblissement de votre peuple, Dame Tyrande. En tant que Protectrice et en tant que Croisée, elle a contribué au maintien d'un équilibre. Ce même équilibre qui fait la force de l'Alliance, ainsi que celui de la Croisade d'Argent, actuellement."

Je fermais les yeux un instant. Rukua parvenait à trouver un sens à mes actes. Cela m'apaisait... Mieux, je sentais poindre en moi le désir d'agir plus encore de la sorte. Le conflit entre l'Alliance et la Horde n'était pas ma tasse de thé, bien que jusqu'à ma rencontre avec les Clairvoyants j'avais encore une rancœur tenace envers les elfes de sang. Je me redressais, ajustant mon armure. Et d'un regard qui en disait long, je remerciais Rukua pour ce qu'elle venait de m'apporter. J'osais un regard vers Tyrande Murmevent. Elle souriait, elle aussi.

"Je reconnais la valeur de vos propos, Paladine Rukua."

Son regard s'attarda sur moi.

"Mes paroles ont pu vous sembler abruptes, et je m'en excuse. Sachez que je vous suis reconnaissante. En ce jour vous et vos camarades m'avez sauvé la vie. Et ne vous en faites pas. Je suis une combattante, je sais ce que c'est de prendre des coups. Il fallait bien que je sois exposée, pour en prendre malgré la fiabilité de votre art du combat."

Elle laissa échapper un petit rire. Et moi, j'étais impressionnée. Comme la première fois où Naalura m'avait présenté le Long-Voyant Nobundo du temps de mon enfance. Ou ces fois où j'avais aperçu Velen, au Temple de Karabor, avant le nouvel exil.
Maladroite, j'esquissais une révérence pour le moins rigide.

"Je... il me faut rentrer. Je reviendrai si le besoin s'en fait sentir... Oui... l'orbe brillera bien si besoin, après tout..."

Hochant la tête, la Grande Prêtresse faisait désormais signe à ses Sentinelles de reprendre leurs postes. Nous discutions depuis assez longtemps pour présumer que tout danger immédiat était écarté. Rukua m'accorda alors une tape amicale dans le dos, comme pour me féliciter. Elle me souhaita bonne route, également, de même que Dame Tyrande.

Quelques instants (et une canalisation de mana sur l'ornement magique de mon tabard) plus tard, j'étais de retour dans l'enceinte du Tournoi d'Argent. Après un bref salut pour le Sénéchal Mariel Coeur-Vrai, j'enfourchais mon hippogriffe d'Argent et entreprenais un survol de la région, sur laquelle la nuit semblait être tombée depuis un long moment déjà.

Ces événements ne m'avaient pas laissée indifférente, et la leçon que Rukua m'avait donné lors de son discours à l'attention de la Grande Prêtresse d'Elune. Tout était lié. Et protéger le moindre maillon affaibli de cette chaine permettait de conserver l'intégrité de la chaine dans sa globalité.

Une leçon que je ne manquerais pas de retenir.

[HRP]
Nota : Ce texte fut écrit suite à des événements en jeu, une attaque sur Darnassus par une quinzaine de combattants de la Horde pour être précis. Tyrande Murmevent ne dût son salut qu'à une petite demi-douzaine de combattants de l'Alliance (dont deux 80), dont je faisais alors partie.
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