[Dalaran] Une curieuse ambassade

Dalaran. La cité des mages. La nuit est épaisse, en dépit des réverbères qui, alimentés par quelque sortilège, éclairent tant bien que mal les rues soigneusement pavées qu'arpentent encore, en ces heures tardives, quelques scribes ayant achevé tardivement leur travail en la Citadelle, quelques soldats traquant sans trop y croire l'improbable délinquant surpris à commettre quelque larcin, voire quelques fêtards arrachés à leur table de jeu. Dalaran, il fallait l'admettre, était une ville calme, apaisée, depuis la défaite du Fléau et du Vol Bleu. Il était rare qu'on s'y attarde, si ce n'est pour quelque raison privée, et le Kirin Tor avait retrouvé une sérénité qui correspondait davantage à la nature de ses travaux ordinaires.

C'est dans ce contexte que, dans la nuit mouvante, une silhouette marchait d'un pas leste dans les rues désertées, se dirigeant vers le lieu qui semblait abriter les dernières traces de vie de la cité en cette heure : l'Abracadabar.

En entrant dans la taverne, encore particulièrement animée par la grâce d'un trouvère elfe de sang qui attirait à lui les regards de la plupart du public féminin, et qui narrait en chantant l'histoire émouvante d'une belle ayant perdu son amant, la silhouette ôta la capuche qui la protégeait du froid et des regards indiscrets. Observant la salle, Aurys se demanda un instant comment elle avait pu se convaincre de tenter sa chance ici.

C'est que, depuis plusieurs semaines qu'elle essayait de joindre la Maison Hautétoile, tout donnait à penser que ses missives étaient interceptées avant même d'avoir atteint leur cible. Elle avait pourtant appris avec satisfaction que l'antique famille aristocratique avait survécu au Fléau et aux guerres, et tenait encore son rang à Lune d'Argent. La Maison Hautétoile avait, naguère, était accueillie avec fastes à la cour du roi Therenas, en Lordaeron, et elle-même avait eu l'occasion de croiser certains de leurs ambassadeurs. Les liens étaient forts, à l'époque, et la Connétable se demandait si tous avaient cédé sous les assauts du temps et de l'Histoire. Telle était la raison de sa présence.

Elle s'installa au comptoir, gardant l'air naturel de quelque voyageur de passage venu dépenser son argent le temps d'une soirée, puis commanda un verre avant de glisser au tenancier, de l'air le plus naturel du monde.

Il se dit que Marelian et Sombrastre Hautétoile passent régulièrement dans vos murs. Vous devez vous estime flatté que les représentants d'une telle lignée honorent votre établissement de leur présence. Sauriez-vous me dire s'ils sont présents, ce soir ?

Aurys y allait au culot. Les temps avaient changé, et il fallait s'adapter, quand les voies traditionnelles n'y suffisaient plus. Peut-être ferait-elle bonne pioche ? Si tel n'était pas le cas, certains de ses indicateurs se retrouveraient bien vite au chômage...

Dans un des coins de la salle, une mince Elfe de Sang aux cheveux d'un noir de jais, vêtue de noir, était occupée à jongler avec un nécessaire d'écriture portatif, plusieurs calepins et une petite abaque, dont les perles émettaient un cliquetis régulier. Elle décocha un coup d'oeil venimeux au musicien, pensant "Foutue guimauve ! ça fait deux heures qu'il me casse les arpions !"

La voix de la nouvelle arrivante lui fit dresser droit ses oreilles. Elle referma avec un léger bruit ses calepins et son nécessaire, avant de glisser le tout dans un solide coffret, et s'approcha sans un bruit de l'Humaine, qui se trouva soudain face à un joli minois et à deux opales glaciales.

"Vous m'avez oubliée, mais vous êtes renommée, m'dame. Ca fait longtemps, même. On peut causer ? Vous régalez."

L'aubergiste n'avait rien à répondre - à moins qu'il n'en ait aucune envie. Aurys était en train d'évaluer le temps et l'énergie perdus pour une piste déjà refroidie quand une voix amusée l'attira : une elfe venait de s'installer à ses côtés, et s'adressait à elle en commun.

Je regrette, fit-elle en poursuivant dans la même langue. Le thalassien ne lui était pas inconnu : on lui avait appris étant enfant, les relations diplomatiques avec Quel'thalas étant perçues comme primordiales. Mais elle ne comptait pas en faire état pour le moment, préférant réserver ses effets. Votre visage ne me revient pas, mais cela ne m'empêchera pas de vous offrir à boire. A condition, bien entendu, que vous me disiez quel alcool vous prendrez et quel est le nom de la personne que j'aurais le plaisir d'inviter.

La jeune elfe eut un léger sourire calme et entendu.

"Une bière, si ça vous va, m'dame. Mon nom ? Lumenni. Je sais qui vous êtes, et c'que vous êtes, alors comme ça disons qu'on est quittes pour ce qui est des informations. Mais peut-être pas dans ce coin d' bourges ?"

L'Elfe qui parlait était visiblement toute jeune, une vingtaine d'années. Son accent et ses manières trahissaient une longue pratique de la rue,par exemple sa façon de garder toujours un oeil sur les issues de la salle, sa façon de se déplacer ... Manières démenties par les vêtements sombres, mais d'excellente qualité, et la sacoche de cuir magnifiquement travaillée dans laquelle elle avait rangé ce qui semblait bien être un nécessaire d'écriture de remarquable facture.

Aurys leva la main en direction du tenancier, qui amena immédiatement deux bières - signe qu'il n'avait rien perdu des quelques échanges entre l'elfe et l'humaine. Pour tout dire, sa soudaine interlocutrice ne laissait pas de l'intriguer : ses manières, qui pouvaient être fabriquées de toutes pièces. Son allure, qui ne collait pas forcément avec le patois qu'elle utilisait. Son soudain intérêt, enfin, pour la Connétable, intérêt qui avait jailli quand...

La jeune femme laissa Lumenni entamer sa bière avant de tenter de reprendre la main dans la conversation.

Vous pouvez peut-être m'aider, fit-elle avec une fausse naïveté. Je suis à la recherche de représentants de la Maison Hautétoile. Une visite informelle, une prise de contact, en quelque sorte. Connaitriez-vous ces personnes ?

La jeune Elfe gardait une expression neutre et calme, réfléchissant en silence.

Si son interlocutrice voulait jouer les gourdes suicidaires, c'était réussi ! Bah, jouer son jeu pouvait être instructif !

Tout le monde à Lune d'Argent sait qui c'est. Une Maison noble qui nage dans l'fric, des agents un peu partout, des terres immenses, des palais à tomber assis par terre rien qu'en les r'gardant.

Une humaine qui veut les voir, c'est pas courant. Au fait, inutile de faire le tour de cette taverne en les demandant, ce type, là (elle montra l'aubergiste), son surnom c'est "je sais rien". Les bourges et les nobles qui prennent des suites ici l'arrosent assez pour qu'il oublie tout c'qu'y disent et font.

Elle reprit une gorgée de bière

J'vais vous donner un conseil, parce que vous êtes sympathique : à votre place, j'éviterais d' réclamer trop ce nom là en public. Vous savez ? la politique.

Aurys masqua avantageusement un sourire de satisfaction derrière un visage faussement peiné. Finalement, elle avait peut-être trouvé quelque chose d'intéressant, elle qui craignait de s'être déplacée pour rien. Elle leva la main vers le tenancier, commandant une deuxième bière pour sa "nouvelle amie" et un verre d'eau-de-vie de prune pour elle-même, puis continua la discussion avec celle qui s'était présentée sous le nom de Lumenni.

Merci pour votre sollicitude. Il se trouve cependant que j'ai grand besoin de rencontrer, sinon les membres de la Maison, du moins leurs émissaires. Des affaires urgentes à traiter, voyez-vous. Comme vous semblez bien introduite, je ne serais pas contre quelques enseignements : j'avoue progresser à tâtons pour le moment, et je me vois mal passer à pied les portes de Lune d'Argent pour demander poliment une entrevue.

La jeune Elfe jouait avec sa seconde chope, tout en en terminant le contenu. Elle la reposa sèchement sur le comptoir.

C'est vous qui voyez. L'hospitalité Thalassienne est renommée. Soyons clairs : vous pouviez avoir ces infos n'importe où, auprès d'un Clairvoyant, d'un soldat du Soleil Brisé ou d'un type du Concordat Argenté. C'est bien parce que ces infos ont aucune valeur que j'vous les transmets gratos et librement.

C'est exactement comme notre chef de guerre, n'importe qui peut vous en parler. Ou comme le Roi Coeur-de-Loup.

La jeune Elfe s'était levée, d'un seul mouvement, vif et souple. Elle fixa son interlocutrice d'un regard glacial et calme, aucunement voilé par l'alcool, jouant à tapoter un petit sous-verre en carton épais sous sa chope.

Les gens qu'vous cherchez sont sûrement déjà au courant d'votre démarche: ils en ont les moyens, ça oui. Vous êtes en vie, c'est un point positif, m'dame. Sans doute qu'vous leur êtes moins gênante sur vos pattes qu' dans une boîte. Le bonjour chez vous, m'dame. Essayez pas de m'suivre.

Elle se dirigea vers la porte, d'un pas posé et assuré, et observa la rue. L'air de qui sait en lire l'ambiance, en prendre le pouls, juger des dangers éventuels. L'allure de qui a grandi dans des ruelles dangereuses.

Aurys regarda partir son interlocutrice sans chercher à la retenir. Une drôle de rencontre, aussi dangereuse qu'intéressante. Même si, à ce stade, elle n'avait rien appris qui puisse lui donner le début d'un moyen lui permettant de joindre les gens qu'elle espérait rencontrer.

La Connétable soupira avec emphase, afin de donner à son entourage l'impression qu'elle avait fait chou blanc, puis se pencha sur le comptoir afin d'y laisser quelques piécettes - et récupéra d'un même geste le sous-bock laissé par Lumenni. Elle se leva en glissant naturellement sa bourse et l'objet dans le revers de sa veste puis, après avoir avisé un individu confortablement assis dans un canapé non loin d'elle, hocha brièvement la tête dans sa direction avant de quitter l'établissement.

Dans la rue, elle s'assura d'être seule, puis sortit le dessous de verre. Un message en commun était inscrit en-dessous.

Appartement Hautétoile, 720.

Suivait un mot de passe.

Un piège ? Possible. Quoiqu'elle aurait pu tout aussi bien être agressée en pleine rue ou dans l'auberge. Mais de toute manière, il faudrait être prudent. Tout le monde n'était peut-être pas ravi d'apprendre les démarches qu'elle menait.

Le n° 720 figurait sur une simple et banale porte en bois dans une rue tranquille, sans aucune inscription nominative. Pas de gardes alentour, ou alors il savait se déguiser en boîte à lettres ou en lampadaire de Dalaran.

L'homme du canapé réprima un haussement d'épaules. Sans doute que sa mission n'était pas terminée. Délaissant avec regret la sympathique demoiselle avec qui il avait partagé un verre de Cidre, il suivit les pas de la Connétable à une distance suffisante afin de n'éveiller aucun soupçon. Les mains dans les poches et la démarche un peu traînante, il donnait l'impression de simplement flâner dans les rues pavées de la ville. Malgré son air absent et ses baillements incessants, son attention restait entièrement focalisée sur la personne qui le précédait.

Bien marri serait celui qui tenterait de s'en prendre à sa Connétable.

(Je vais admettre qu'Aurys a décidé d'entrer)

La porte donnait sur une pièce minuscule, sans ornements, ni meubles,ni tapis. L'éclairage était assuré par un simple globe apparemment en verre, fixé au plafond. Le seul point remarquable de la pièce était une autre porte, masquée par un fin voile de soie Thalassienne, pas assez déicat cependant pour qu'on voie à travers.

Personne dans la pièce, pas non plus d'animal domestique.

La jeune femme avait finalement pris le risque d'entrer, confiante en ceux qui la suivaient pour s'assurer discrètement de sa sécurité. Elle fut dans un premier temps déçue par la nudité des lieux : rien, en effet, ne laissait présager que l'endroit ait été habité dans une époque récente. Prudente, elle s'assura de la nature de la porte qu'elle venait de passer, glissant un caillou récupéré au dehors pour l'empêcher de se fermer complètement derrière elle. Puis, elle entreprit d'inspecter les lieux, afin de s'assurer qu'il ne s'y retrouvait rien d'intéressant.

Enfin, elle approcha du rideau qui semblait la séparer d'une autre pièce, tendant l'oreille afin de repéré d'éventuels bruits, avant de le repousser si rien n'indiquait une quelconque présence de l'autre côté.

Pas de bruit de l'autre côté de l'étoffe.

La pièce suivante était baignée d'une douce lumière tamisée, sans source visible. En fait, un simple couloir, dallé de la pierre rouge typique de certains bâtiments Thalassiens. Couloir qui décrivait un coude. Pas de meubles là non plus.

Rien en dehors d'un énorme patrouilleur des Arcanes, portant les emblèmes Hautétoile, qui "fixait" la jeune femme. L'appareil s'était visiblement tenu immobile, montant la garde, et il venait de commencer à s'animer.

(J'assume qu'un Patrouilleur de ce modèle coûte assez cher. Ce n'est pas le modèle qu'on voit se balader à Lune d'Argent)

Aurys s'apprêtait à poursuivre son exploration des lieux quand ce qu'elle avait pris au départ pour une vieille relique d'un ancien temps se mit à se mouvoir. Légèrement d'abord. Mais son expérience lui rappelait à grande vitesse qu'un objet inerte qui se mettait à bouger n'avait que peu de raisons de s'arrêter en si bon chemin.

Ecartant les bras du long de son corps pour montrer l'absence de toute arme - et donc sa bonne foi - Aurys prit le parti de s'adresser à la sentinelle comme elle l'aurait fait face à un être vivant. Tout en se tenant prête à filer dès le moindre signe suspect de la part de l'être mécano-magique.

Je me nomme Aurys de Nor Laedro. Je sollicite audience auprès de la Maison Hautétoile.

L'énorme sentinelle arcanique interrompit le mouvement qu'elle avait amorcé, puis sembla braquer sa "tête" en direction de la jeune femme. Les "gestes" de la chose semblaient être très rapides par rapport à sa taille. Certains des cristaux lumineux qui l'ornaient brillèrent.

La "machine" s'exprimait en Thalassien, d'une voix perturbante car manifestement artificielle, et sans accentuation

Identification en cours ... identification confirmée.
Analyse paramètres de la cible en cours ... analyse terminée.
Vérification en cours ... vérification terminée.
Code de sécurité pour la soirée demandé.

La voix désincarnée de la machine ne pouvait qu'angoisser la jeune femme, jamais à l'aise avec ces êtres mécaniques. Elle en avait affrontés, par le passé, et ces souvenirs n'étaient pas toujours heureux. Mieux valait donc éviter de renouveler l'expérience - surtout dans la tenue qui était la sienne actuellement.

Heureusement, l'elfe de tantôt, en dépit de sa morgue, avait fait plus que lui laisser un numéro de rue : elle avait également indiqué un mot de passe.

Sollune ! fit Aurys d'une voix claire, espérant que cela ne soit pas un piège, sans quoi elle n'aurait plus qu'à se jeter en arrière pour regagner la rue à toutes jambes.

La sentinelle émit un petit bruit de cliquetis, avant de reprendre, de la même voix désincarnée

Code de sécurité pour la soirée ... code validé.
Procédure de désintégration .... procédure ajournée.
Modification statut cible en cours ... statut visiteur validé.

La machine reprit une position plus statique, pouvant de nouveau passer pour une statue décorative d'un goût discutable.

Il y eut un mouvement plus naturel au bout du couloir, annonçant l'arrivée d'une jolie Elfe aux longs cheveux dorés ramenés en chignon, portant avec l'élégance propre à ce peuple une robe qui aurait semblé d'un luxe digne de la Cour dans une ville Humaine. Comme la plupart des Thalassiens, il était difficile de lui donner un âge.

L'Elfe adressa à la visiteuse une révérence, avant de lui adresser courtoisement la parole.

Dame de Nor Laedro ? Bienvenue à la Résidence Hautétoile. Je suis Elirel, gouvernante de cette résidence. Si vous voulez bien me suivre ? Vous êtes attendue.

Aurys s'inclina en voyant arriver l'elfe. Sa haute ascendance et la pratique qu'elle avait des échanges diplomatiques lui permirent de s'incliner en usant à la fois du respect dû à une hôtesse et de la hauteur qu'il lui incombait de conserver au regard de sa propre lignée.

Ainsi, et comme il était de coutume à la cour de Lordaeron, elle s'épargna de répondre, et se contenta de suivre la domestique, impatiente de rejoindre enfin ceux qu'elle avait eu tant de mal à dénicher.

La domestique se contenta de suivre un autre couloir, sans aucune décoration, avant d'atteindre une autre porte masquée par un voile soyeux. Au-delà de ce tissu, s'entendaient ... des bruits de frondaisons et d'oiseaux chantant, le bruit de ruissellement de .. peut-être une fontaine. On percevait aussi les fragrances caractéristiques d'une clairière, portées par une douce brise.

L'Elfe écarta courtoisement le voile. Aurys put alors réaliser que l'impression était la bonne : cette porte donnait bel et bien sur une clairière, aménagée en confortable séjour. Les arbres étaient bel et bien des essences thalassiennes, au tronc crème et aux frondaisons mordorées. Le gazon, d'un vert émeraude parfait, rappelait à l'oeil un luxueux tapis, et semblait assez doux pour être foulé nu-pied. Le bruit d'eau ne venait pas d'une fontaine, mais d'une petite source, donnant dans un bassin dont les bords avaient été sertis de dalles couleur crème. On y avait disposé un petit meuble mobile, qui tournait sur lui-même, portant sur ses étagères livres, flacons, coupes garnies d'aliments raffinés. Il était très difficile d'établir si cet endroit se trouvait dans un parc ou une forêt.

Deux Elfes se tenaient non loin du rebord du bassin, un homme et une femme. Tous deux les cheveux d'un noir de jais, le regard et le port altiers. Leurs traits fins indiquaient clairement leur lien de fraternité à l'observateur. Chacun d'eux était richement vêtu, mais sans ostentation : il ne s'agissait pas de nababs gobelins, mais d'Elfes dont la noblesse remontait à des générations.

Sur le signe de l'homme, un Elfe, vêtu en valet, qui portait une livrée aux couleurs Hautétoile, vint s'incliner devant la jeune femme, portant un petit plateau couvert d'une cloche d'argent.

"Madame a égaré ceci à l'appartement."

Sur le plateau ... un certain petit caillou.

La sensation était saisissante. Et, probablement, l'ordonnancement de l'endroit était prévu pour donner cette impression à tout visiteur à qui il était permis d'accéder à cet endroit. Aurys ne pouvait qu'être frappée par la beauté des lieux, une beauté qui n'avait rien d'ostentatoire, car après tout, le luxe tapageur n'était-il pas la preuve éclatante de la vulgarité inhérente aux gens du commun qui croyaient que la seule richesse était à même de gommer les traits si grossiers acquis par héritage ? Point de tape-à-l'oeil ici bas : l'élégance des comportements et des mots était à elle seule suffisante pour indiquer au visiteur averti qu'on avait quitté le monde de la rue pour investir un endroit au charme aristocratique.

Bonne joueuse, Aurys récupéra le caillou et remercia le valet d'un signe de tête amusé. Puis, elle attendit : n'étant pas chez elle, il ne lui appartenait pas de faire le premier pas, ni de prendre la parole sans y avoir été invitée.

Les deux Elfes attendirent eux aussi un instant dans une pose figée, avant d'échanger un regard et de se mettre soudain à rire. L'homme adressa alors à la jeune femme un sourire charmeur.

"Si nous ne commettons pas une entorse à nos étiquettes respectives, il va nous pousser des racines, je le crains. Nous ne sommes pas à la Cour, alors oublions le formalisme en cette occasion, voulez-vous ? Connétable Aurys de Nor Laedro, laissez moi vous présenter ma soeur, Dame Sombrastre Hautétoile, Experte du Sanctum. Je suis Marelian Hautétoile, Magistère, et .. un Humain dirait Duc. "

Marelian Hautétoile était de haute taille, bien vêtu, ses cheveux noirs ramenés en une haute queue-de-cheval. Un visage avenant, une voix bien timbrée, le sourire facile. Sa soeur, un peu plus grande et plus mince, le teint pâle et aristocratique, sa chevelure ramenée en un chignon, adressa à l'humaine un sourire aimable lui aussi.

Aurys se courba, respectant en tout point l'étiquette en vigueur à la Cour de Quel'Thalas avant la Troisième Guerre. Finalement, tout ce qu'on lui avait appris durant sa jeunesse ne lui était pas si inutile.

Je vous remercie de m'accueillir sur votre domaine. Vous devez probablement être informés des démarches que je mène depuis quelque temps afin d'avoir l'opportunité de converser avec vous, au nom des anciennes alliances et du sang qui a coulé de part et d'autre de nos lignées respectives, depuis les guerres contres les Amanis jusqu'aux horreurs vécues sous le joug du Fléau. Nombreux sont les messagers à vous avoir été envoyés, mais je crains qu'aucun d'eux n'est parvenu à remplir sa mission : c'est la raison pour laquelle j'ai choisi de me déplacer en personne, et c'est un honneur pour moi comme pour ma cause d'être reçu par vos Excellences.

La Connétable se souvenait des échanges oratoires que l'ambassadeur de Quel'Thalas appréciait temps, à la Cour de Lordaeron. Elle espérait secrètement qu'il s'agisse d'une pratique bien commune dans l'intelligentsia de ce peuple, et non la simple lubie d'un aristocrate trop bien poudré.

Le frère et la soeur échangèrent à nouveau un regard entendu et un sourire. Puis l'homme, de reprendre, sans se départir de son affabilité

Il n'est pas déplaisant de constater que les règles de courtoisie n'ont pas sombré dans l'oubli. Mais il n'est pas nécessaire d'être aussi formaliste lors d'une entrevue privée telle que celle-ci, damoiselle.

Soyons clairs : une entrevue officielle se déroulerait en des circonstances bien différentes, et ce n'est pas de courtoisie que nous ferions alors assaut.

La femme adressa elle aussi un sourire à Aurys. Moins chaleureux que celui de son frère

Pour ce qui est de vos messagers, ils sont actuellement dans une de nos dépendances. Pour le moment en sécurité. L'un d'eux a été blessé lors de son interception, non sans avoir molesté plusieurs villageois innocents.

Marelian reprit

Par chance pour eux, nous n'avons laissé filtrer aucune information à leur sujet. L'actuelle reine de Lordaeron aurait apprécié de les recevoir, j'en suis certain. Ou le chef de guerre.

Nous avons délibéré, et avons choisi de vous entendre avant de prendre des dispositions .... définitives. Comprenez bien ceci : ce qui importe avant tout est le bien être de notre Maison, ce qui implique nos féaux, et du Royaume Thalassien.

Si elle fut rassurée par l'information relative à ses messagers, Aurys n'en fit pas montre. La discussion venait d'être lancée par ses hôtes : il lui appartenait à présent d'exposer le motif de ses démarches.

Je vous remercie pour le bon accueil qu'on reçu mes hommes sur vos domaines, et j'espère de tout coeur qu'ils pourront prochainement retrouver leur patrie et leurs familles, qui se languissent d'eux depuis trop longtemps.

Si j'ai cherché ainsi à vous joindre, ce n'était évidemment pas pour causer du tort à votre puissante famille - j'en serais d'ailleurs bien incapable. Mon objectif était de m'entretenir avec vous, au nom des antiques liens forgés par nos pères entre nos deux royaumes, afin de discuter des soubresauts que connaît aujourd'hui le Nord, et de la révolution qui pourrait prochainement l'embraser. Si je suis ici, c'est autant pour informer vos Excellences du sort qui attend ces contrées que pour prendre conseil auprès d'elles afin de nous assurer que ces évènements ne viennent pas empiéter sur les liens honorables qui, par le sang mêlé, ont depuis tout temps tissé une concordance de vue entre les fils de Quel'thalas et la semence d'Arathor.